Page:Les œuvres libres - volume 42, 1924.djvu/197

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
191
LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

à Tornada la petitesse de prétendre que c’est une plume d’oie.

Mais il se modéra :

— Ton foie ? Mais non !… mais non !… ton foie, te dis-je, n’a rien, au masculin du moins. Au féminin, c’est autre chose.

— Je ne te comprends pas.

— C’est ta foi qui est atteinte.

— Ma foi, en qui ?…

— Dame…

Il fit un geste qui établissait que nous nous comprenions parfaitement.

Mais il précisa :

— Tu comprends, mon antique, qu’à nos âges, la cinquantaine dépassée, il n’est guère prudent d’épouser une jeune femme. Ta Lucienne a vingt-quatre ans. Ça fait plus de vingt-cinq ans de différence. C’est trop. Vois-tu, le mariage est comparable à un équipage. On ne fourre pas dans les mêmes brancards une jeune cavale et un étalon fourbu… Non, tu aurais mieux fait de rester, comme moi, sous le harnais du célibat.

— Voilà plusieurs fois… dis donc : soupçonnerais-tu Lucienne, par hasard ?

Je le regardai profondément, cherchant à trouver en son attitude la révélation d’attaques qui me tourmentaient cruellement depuis deux mois.

Chaque matin, à mon courrier, je trouvais une lettre anonyme m’apprenant que ma femme me trahissait. Accusation aussi stupide qu’invraisemblable. On m’objectera qu’il ne faut jurer de rien avec Vénus, et qu’il est ni stupide, ni invraisemblable, de prêter des sentiments altruistes, et surabondamment, à une femme qui a passé par le théâtre. Mais j’avais longuement étudié Lucienne avant de l’épouser, alors qu’elle était mon interprète dans : Artémise, reine d’Halicarnasse, grand drame lyrique, en cinq actes, qui fut donné au cercle Ésotérique. Je puis affirmer, la main sur le feu, qu’elle était aussi irréprochable