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LES MÉMOIRES D’UN IMMORTEL

que c’était pour implorer le ciel en faveur de la supposition de Tornada. Quant au mari…

Quant au mari, juste ciel ! c’est avec épouvante que je retrace ce qui lui arriva. Il se trouvait, à ce moment, directement dans le champ de mon observation, en sorte que je ne perdis rien de ce coup de théâtre. De congestionné qu’il était déjà, je vis mon rival passer au cramoisi. Il se mit à grimacer, ses yeux se révulsèrent. Il porta la main à la tête, comme pour se débarrasser d’une bête rongeante. Il poussa quelques hoquets, tenta de se raccrocher à la barre de mon lit. Puis définitivement, il s’écroula. Clameurs de la poétesse, empressement des assistants, eau froide, vinaigre, piqûres de Tornada : rien n’y fit, mon concurrent au fauteuil Titon était fauché par une embolie identique à celle que Tornada avait imaginée pour moi.

— C’est crevant !… déclara le savant, on dirait que je porte malheur à tous les candidats à l’Académie !… Si vous voulez profiter de mon auto pour le ramener chez lui…

Et tandis qu’on emportait le malheureux :

— Ça va me mettre en retard pour Vénus, mais je ne regrette rien. Tu as de la chance, vieil Hydre de Lerne : Atropos te favorise. J’aurais peut-être pu, en y mettant un peu de patience, et avec mon 222, le prolonger quelque temps, mais l’apoplexie est une fichue poisse. Alors, réflexion faite, j’ai préféré assurer ton élection.

Et se frottant les mains :

— Je crois que, depuis que la viande humaine existe, c’est la première fois qu’on voit un mort tuer un vivant !

Il semblerait qu’après ce drame, la fin de ma seconde journée mortuaire dût me paraître tout à fait dépourvue d’intérêt. Mais mon égoïsme et mon instinct de propriété m’attachèrent encore aux agissements d’une petite troupe qui emplit ma chambre un quart d’heure environ après l’enlèvement de Firmin