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profit, et il rentrait chez lui, déçu, amer, jamais désespéré.


III


Anthelme Charibot avait, ce soir-là, longtemps erré sur les bas-côtés des Champs-Elysées, dans les sentiers buissonneux qui environnent le Grand Palais, sous les arbres du Cours-la-Reine. Il goûtait le charme de l’ombre languissante et chaude, et il savourait une émotion complexe, faite d’envie et de crainte, à voir se glisser dans les ténèbres tous ces couples furtifs soumis aux volontés éternelles. Vers onze heures, il se trouvait au bord de la Seine, et s’accouda sur le parapet. Dans l’eau miroitante et lourde plongeaient, comme des traits d’or tremblants, les lumières des quais et des ponts. En clignant les yeux, il voyait monter et descendre des flammes rouges ou vertes, qui se déchiquetaient et se recomposaient sans cesse. Le fleuve coulait au milieu d’elles sans les entraîner. Il s’en allait, de toute sa puissance irrésistible, se heurtant et se divisant contre les arches des ponts, retrouvant ensuite son unité majestueuse, vers l’Océan lointain qui l’engloutissait éternellement. Et M. Charibot saisissait, dans cette marche que nul obstacle n’arrête, le symbole de notre destinée, à laquelle toute stabilité est refusée, et dont les joies sont pareilles à ces flammes momentanées, un instant aperçues, aussitôt fugitives… Sur quels fantômes l’homme peut-il essayer de refermer les bras ?… L’amour ?… La richesse ?… La gloire ?… Un seul lui semblait accessible : la gloire !… C’était pour elle qu’il vivait, c’était pour elle qu’il accomplissait son œuvre ; à défaut de l’amour qu’il ne connaissait pas, à défaut de la richesse qu’il ne possédait pas, il sentait bien qu’un jour il s’emparerait d’elle, et c’était à elle qu’il songeait, avec une résolution qui raidissait ses muscles et lui faisait serrer les mâchoires.

Las enfin de sa contemplation taciturne, il se re-