Page:Les œuvres libres - volume 42, 1924.djvu/331

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dessus de la terre : la joie le rendait immatériel. C’était la première fois qu’une vraie femme pénétrait chez lui. Il eût voulu crier son bonheur à tous les habitants de la maison ; et, comme ses yeux avaient effleuré le manuscrit de l’Âme Douloureuse, il sourit avec un peu de dédain. Qu’est-ce que la gloire, si l’on possède l’amour ?… Empressé, mondain, il s’écria :

— Mais débarrassez-vous donc de votre chapeau, je vous prie !

— C’est bien facile… ça n’est que posé sur la tête, ces bibis-là ! dit la jeune femme.

Et, enlevant d’un mouvement preste la petite toque, de paille, elle la jeta sur le divan ; puis elle agita la tête pour ébouriffer ses cheveux coupés court, et elle demeura, souriante, lumineuse, un peu gênée. M. Charibot la regardait avec un sentiment de piété et d’adoration.

— Vous êtes jolie… balbutia-t-il. Vous avez les yeux bleus…

Elle se mit à rire.

— Je m’en doutais, figurez-vous !

Il rit à son tour. Comme elle savait le mettre à l’aise !… Avec quel tact elle paraissait ne pas apercevoir sa timidité !… Comme elle semblait jeune, pure, printanière !… Il s’approcha un peu, et lui tenait la main :

— Amis ? murmura-t-il.

— Amis ! répondit-elle avec empressement.

— Vous êtes chez vous… continua le vieil homme. À mon âge, il ne faut pas laisser passer le bonheur… Il ne faut pas le faire attendre… Il me semble que vous êtes dans ma vie depuis toujours… Le soleil y est entré avec vous : ce sera la nuit quand vous me quitterez.

— Je ne suis pas une intrigante, répondit Mathilde Bécherelle avec gravité. Voilà ce que je puis vous dire !… Quand vous me connaîtrez mieux, vous verrez si vous voulez me garder… Le temps qu’il vous plaira, je resterai. Vous ne vous engagez à rien,