Page:Les œuvres libres - volume 42, 1924.djvu/342

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habite avec ses maîtres. Et, malgré tout, il n’y a pas de pays plus tendre et plus attirant. C’est la terre des âmes mystiques, chère à tous les artistes !

— Il y a beaucoup de peintres ? questionnait Mathilde.

— Des peintres ?… S’il y a des peintres ?… Mais partout, partout ! Sur toutes les falaises, dans toutes les baies, derrière tous les buissons qui bordent l’Aven, à l’entrée de tous les villages. Il y a… il y a…

Et Charibot cherchait des noms.

— Il y a Cottet… c’est un célèbre… Il y a… il y a Simon… il y a… il y a… André Jolly… Tu verras sa maison, avec le jardin qui dégringole tout le long de la falaise, à travers les rosiers, les pins et les cyprès, jusqu’à la mer qui le bat de ses vagues… Il y a… il y a… je ne peux pas les nommer tous !

La jeune femme battait des mains. Elle eût voulu doubler la vitesse des heures. De jour en jour, l’expression de son visage devenait plus ardente et plus voluptueuse. Elle souriait parfois sans raison, suivant un rêve qu’elle ne formulait pas. Et Charibot, troublé, osait à peine la regarder, tant il craignait de se trahir et de laisser apercevoir le désir qui le possédait.

Comme il sortait un matin de chez lui, se rendant à son bureau, il passa, enfermé dans ses pensées, devant la loge de la concierge. Il était si occupé de ses rêveries et du départ qui aurait lieu le surlendemain, qu’il ne prit pas garde à Mme Diamant, fort animée elle-même par une conversation qu’elle poursuivait, sous forme de monologue, avec une des bonnes de la maison. Contre son habitude, il omit de saluer l’autocrate du cordon. Mais il n’était pas arrivé au trottoir que la voix glapissante de la pipelette, enflée par la colère et le mépris, proférait avec violence cette phrase qui tomba comme un bloc de pierre dans le lac de ses pensées.

— Pour un cocu, ma chère, vous parlez d’un cocu !… Et ça fait le fier par-dessus le marché !