Page:Les œuvres libres - volume 42, 1924.djvu/365

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m’établissais ? Tenez à Quillebœuf, par exemple ? C’est à un petit quart de chez vous. Ça serait-il votre dernier mot ?

— Faut voir, j’y ai pas songé, lui dit sèchement le père.

Et malgré tout, la semaine ensuivant, le coureux de marchés prenait à loyer sur le quai, entre le Ruquai et le Cohue, la maison où la Nigrisse venait de mourir. Et il y faisait venir de la mercerie, de la rouennerie, de la bonneterie, vère de la soierie, plein la boutique. Et il revenait à l’assaut du père, un jour que celui-ci passait sur le quai, et regardait un peintre qui écrivait sur l’enseigne : « Maison Tricq. »

— Bonjour, maître Bourdel !

— Ah ! c’est vous, maître Tricq, votre balle a mué en bouticle, je crois. Vous êtes têtu, da ! Mais voyez-vous, ma fille est encore bien jeune. Vous, quel âge avez-vous ?

— Je vas sur quarante. Mais vous savez bien que jamais les femmes ne sont plus heureuses qu’avec de plus vieux hommes. Et puis, c’est pas vieux, quarante ? Vous qui en avez cinquante, n’êtes-vous pas des bons ?

— Flatteux, va ! On en reparlera. Mais vrai, j’y ai pas assez réfléchi. Au revoir !

Et cependant, les objections une à une vaincues, Tricq avait épousé Denise.

Ici la bru, prenant la parole, dit à son mari :

— Et puis, il y avait votre accident qui le retenait un brin.

— Oui, répliqua Tricq, avec un frémissement rapidement dominé. Vous parlez de mon pauvre bras, n’est-ce pas ? qui a été si abîmé pendant les grandes guerres. Mais si asteurs les jeunesses rabrouaient tous les éclopés, avec qui se marieraient-elles ? Il n’y a plus que des stropiats. Napoléon n’a-t-il pas fauché la nation ? Tout un chacun boitille ou manchotte dans la gloire. Ça m’empêche-t-il de travailler ? On pourrait même se défendre d’une attaque, oui-da !

En même temps les yeux du soldat mercelot se durcissaient d’une expression de rudesse plus agres-