Page:Les œuvres libres - volume 42, 1924.djvu/37

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abstraites ne purent dissiper la douce hantise du rythme, elles lui fournirent même de l’aliment. Je peux dire qu’à cette époque j’ai rimé tout ce que j’ai pensé. Sans doute, il n’est pas de plus haute matière poétique ! Ni de plus aisément gâchée. Un esprit jeune est plus touché des vues extrêmes que des vues profondes. Si la mode s’en mêle, il est presque perdu. J’en puis apporter un souvenir exemplaire tiré d’un temps où j’avais médité jusqu’à l’ivresse les magnifiques analyses d’Aristote sur la contemplation considérée comme le bonheur suprême. D’après le Maître, le bonheur varie comme la faculté de contempler ; plus on l’exerce, et plus on est heureux, non par un accident mais par la vertu de la theoria elle-même, le bonheur en soi s’identifiant presque avec la contemplation. Toute la doctrine des énergies conquérantes de l’esprit est en germe dans cette vue des activités sublimes de l’âme, tout le progrès intellectuel et scientifique de l’Occident en est dérivé ; mais ces belles pages étaient mal lues d’une génération pénétrée de Kant et de Schopenhauer, bernée par Leconte de Lisle et les Parnassiens. Aristote me conduisit droit au Bouddha à peu près comme y sont conduits de nouveau les Allemands et même, si j’en crois de curieuses notes de M. Bernard Fay, certains poètes d’Amérique touchés de néo-classicisme qui tournent aux fakirs. C’est un beau contresens, mais il ne peut pas étonner. J’ai encore en mémoire de vieux péchés rimés qui enveloppaient la théoria d’Aristote d’une espèce de châle hindou :

L’idée impersonnelle et désintéressée
Purifiera vos cœurs de tout désir amer…

Le journalisme, où je débutai beaucoup trop tôt, me souffla des petites ballades de circonstance, consacrées aux beaux crimes des faits-divers, Gabrielle Bompard, l’huissier Gouffé, et leur malle sanglante en eurent l’étrenne, je crois. Tout m’était un prétexte à