Page:Les œuvres libres - volume 42, 1924.djvu/48

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avivaient mon mécontentement. Il fallait autre chose. Sur ces confins légers des nuits et des matins, où tout semble renaître, était-il déplacé de désirer plutôt des vers qui fussent, eux aussi, en voie de naître et de grandir, des vers à prendre et à reprendre, à user, à rouler, semblables au galet qu’arrondissent les mers chantantes ? La marche fait jaillir les idées en tumulte. N’est-il pas délassant de les distribuer en cadences libératrices qui aident à l’élasticité physique du pas. N’est-il pas doux d’inscrire une sentence exacte au milieu de l’orbe choisi ? Contre l’informe et le bâclé, contre le vague et le diffus de l’heure précédente, c’est le repos le plus puissant. Chaque vers frais éclos, étant redit à demi-voix, j’y savourais le vrai bonheur de mettre enfin d’accord l’idée avec la chose, d’adapter, d’ajuster les mots au mouvement et, donnant une forme et un corps à des rêves, de les graver sur une matière qui ne fuie pas. Même s’ils sont suivis avec art et science, les beaux mystères de la langue des poètes ont la vertu fréquente d’ajouter aux idées d’un rimeur isolé le chœur universel de l’expérience de tous : les moindres paroles y gagnent on ne sait quel accent de solidité séculaire, l’antique esprit qu’elles se sont incorporé multiplie leur saveur et leur résonance, leur portée d’ensorcellement.

À composer ainsi l’homme remonte à son ciel et à son soleil, il a la joie de voir ses objets rétablis à leur vrai palier et rien ne manque à leur cortège de cette imagerie visuelle et sonore qui leur est nécessaire pour se manifester. Le tout au maximum de la facilité et du naturel : si la Rime et le Rythme sont des aide-mémoire qui se passent de l’écriture, le Vers qu’ils engendrent possède un pouvoir décisif pour filtrer, tamiser, automatiquement l’adventice et l’impur de toute pensée.

À tête reposée et froide, ce puissant moteur de la vie et de l’être peut être encore être pris pour un simple et beau passe-temps. Dans le feu du travail,