Nicolas. — Alina, laisse-moi en repos. Assez de coups d’épingle. Assez d’allusions.
Alina. — Mais je ne comprends pas ?…
Nicolas. — Il ne me paraît pas nécessaire d’expliquer pourquoi je ne veux pas poursuivre des paysans qui ont coupé du bois dont ils avaient besoin.
Alina. — À ce compte-là, ils pourraient avoir besoin de ce samovar.
Nicolas. — Il s’agit de sapins, de dix sapins. Faut-il que des gens fassent de la prison pour les avoir coupés dans un bois que l’on considère comme ma propriété ?
Alina. — Que l’on considère est charmant.
Piotr. — Oh ! si vous commencez à vous disputer, j’aime mieux aller dans le jardin. (Il s’en va.) Tu viens, Stepa ?
Stepa. — Non, ça m’intéresse. (Piotr sort.)
Nicolas. — Admettons que ce bois m’appartienne, et je sais bien qu’il ne m’appartient pas ; il y a neuf cents hectares de bois. Chaque hectare supporte environ cinq cents arbres. Cela fait donc, si je compte bien, quatre cent cinquante mille arbres. Ils m’en ont coupé dix ! tu entends ? Dix ! C’est-à-dire un quarante-cinq millième. Et c’est pour ça qu’on va arracher un homme à sa famille et le mettre en prison.
Stepa. — Oui. Mais si on ne punit pas pour ce un quarante-cinq millième, bientôt les autres quarante quatre mille neuf cent quatre-vingt-dix-neuf quarante-cinq millièmes seront également abattus.
Nicolas. — Ce raisonnement, je viens de le faire pour convaincre ta tante. Mais à toi, je tiens à dire que nous n’avons absolument aucun droit sur ce bois. La terre appartient à tout le monde, c’est-à-dire qu’un morceau de terrain ne peut appartenir à personne. Seul le travail justifierait peut-être la propriété et tu sais bien que nous n’avons rien fait pour posséder ce bois.
Stepa. — Tu as administré, tu as surveillé.