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LA JEUNESSE DORÉE SOUS LOUIS-PHILIPPE


Or, « cette imbécile rimaillerie anonyme « savez-vous ce que c’était ? C’étaient les dix plus belles pièces des Fleurs du mal (l) dont celle-ci nous donnera le ton :

Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire,
Que diras-tu, mon cœur, cœur autrefois flétri,
A la très belle, à la très bonne, à la très chère.
Dont le regard divin t’a soudain refleuri ?

— Nous mettons notre orgueil à chanter ses louanges ;
Rien ne vaut la douceur de son autorité ;
Sa chair spirituelle a le parfum des anges,
Et son œil nous revêt d’un habit de clarté.

Que ce soit dans la nuit et dans la solitude,
Que ce soit dans la rue et dans la multitude,
Son fantôme dans l’air danse comme un flambeau.

Parfois il parle et dit : « Je suis belle, et j’ordonne
Que pour l’amour de moi vous n’aimiez que le Beau.
Je suis l’Ange gardien, la Muse et la Madone. »

Gela n’empêchait pas, d’ailleurs, Baudelaire de cultiver à fond la Vénus noire (2) et de faire la cour à d’autres filles tout aussi, perdues qu’elle, car Baudelaire était un sensuel qui, pour se dégriser des vapeurs du haschich, éprouvait de temps à autre le besoin de prendre un bain de luxure. Alors il livrait son corps aux morsures des bêtes dont parle l’Apocalypse, mais comme son esprit, malgré tout, ne cessait de penser à « la très belle », il composait dans ces moments-là pour elle des vers qui se ressentaient de son état.

… Je voudrais une nuit
Quand l’heure des voluptés sonne,
Vers les trésors de ta personne,
Comme un lâche, ramper sans bruit,

Pour châtier ta chair joyeuse,
Pour meurtrir ton sein pardonné,
Et faire à ton flanc étonné
Une blessure large et creuse.

(1) Ces dix pieces de vers ocupaient, dans l’édition, orisinale des « Pleurs du mal », les pages 84 à 105.

(2) Jeanne Duval.