Page:Les Aventures de Huck Finn.djvu/136

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du fleuve, nous laissions le radeau suivre le courant. Nos pipes allumées, les jambes dans l’eau, nous causions. Nous restions à peu près nus, quand les moustiques ne nous tourmentaient pas. Les habits que la famille de Georges, m’avait fait faire étaient encore trop neufs pour ne pas me gêner et rien ne m’empêchait de me mettre à mon aise.

À minuit, tout le monde était couché le long de la côte ; les faibles lueurs qui trahissaient la présence d’une cabane s’éteignaient. Ces lueurs nous servaient d’horloge ; dès qu’elles reparaissaient, elles nous annonçaient qu’il ferait bientôt jour et qu’il fallait chercher un endroit pour cacher le radeau.

Un matin, vers l’aube, je partis à bord d’un canot que nous avions arrêté au passage et je remontai, en pagayant, une crique boisée où j’espérais récolter du fruit. Après m’être avancé d’un mille environ, j’arrivai en face d’une sorte de sentier de vaches, et j’aperçus deux hommes qui couraient de mon côté. Lorsque je voyais quelqu’un jouer des jambes, je m’imaginais toujours que l’on courait après moi ou après Jim. Ma première idée fut donc de déguerpir au plus vite ; mais avant que j’eusse dégagé mon aviron, empêtré dans les roseaux, ils étaient déjà à portée de voix. Ils me crièrent que des gens à cheval les poursuivaient avec une meute de chiens et ils me suppliaient de leur sauver la vie. Arrivés au bout du sentier, ils voulurent sauter dans le canot.

— Pas de ça, s’il vous plaît, dis-je en donnant un coup de rame. Rien ne presse — les chiens et les chevaux m’ont l’air d’être encore loin. Filez à travers les buissons et quand je serai sûr qu’on est à vos trousses, je vous laisserai monter de façon à ne pas risquer de chavirer. En marchant dans l’eau, vous dépisterez la meute.

Ils ne se le firent pas dire deux fois, et me voilà en route de mon côté. Ils n’avaient pas menti. Une dizaine de minutes plus tard j’entendis aboyer au loin ; un quart d’heure après, les fugitifs respiraient à l’aise dans un bois de cotonniers où Jim avait établi sa cuisine.

Le plus âgé des deux ne devait guère avoir moins de soixante et dix ans. Il était chauve ; en revanche, il avait une barbe blanche qui