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XXIV
jim vendu.


Pendant quelques jours, comme les deux associés n’osaient pas se montrer trop près de Nantuck, nous filâmes le long du fleuve. Lorsqu’ils se crurent hors de danger, ils visitèrent plusieurs petites villes. Ils m’emmenaient avec eux, parce que les gens qui se font suivre d’un domestique inspirent toujours de la confiance. Ce n’était là qu’un prétexte, je crois. Ils devinaient sans doute que je n’aurais rien de plus pressé que de disparaître avec le radeau dès que le champ serait libre.

En dépit de leur air respectable, rien ne leur réussit. Un beau sermon sur la tempérance ne leur rapporta pas de quoi se griser tous les deux. Une conférence sur la phrénologie n’attira qu’une dizaine d’auditeurs. Le roi offrit en vain sa poudre dentifrice, le duc ne trouva aucun chaland pour ses pilules brevetées, et nos provisions s’épuisaient. Le poisson abondait ; seulement Jim s’arrangeait de façon à n’en jamais découvrir au bout de nos lignes.

— Lorsqu’il n’y aura plus rien à manger ici, me dit-il, ils déguerpiront, et bon débarras !

En effet, ils paraissaient déjà découragés. Après avoir rôdé inutilement dans une demi-douzaine de petites villes, ils passèrent leur temps à rêvasser et à regarder couler l’eau, sans échanger une parole. Mais ils n’étaient pas au bout de leur rouleau. Un jour, le roi, qui se tenait assis à l’entrée du wigwam, finit par se lever pour aller rejoindre son associé, et ils se mirent à causer à voix basse. Cela m’inquiéta un peu, parce qu’ils ne se gênaient guère en général pour s’expliquer devant moi. J’eus beau prêter l’oreille, je n’entendis pas un mot de leur entretien.