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XXXI
couleuvres et araignées.


À notre prochaine entrevue, pendant que Jim et moi aiguisions nos plumes sur un morceau de brique, Tom renouvela ses instructions. Lorsqu’il eut expliqué au nègre qu’un prisonnier doit se désennuyer en couvrant d’inscriptions les murs de son cachot, Jim se rebéqua. Il déclara qu’il aimait mieux dormir. C’était très facile de gribouiller des ronds ou des croix sur la chemise et sur les assiettes ; mais il ne voulait pas passer ses jours à gratter des bûches.

Tom insista.

— Voyons, dit-il, tu ne peux pas sortir d’ici sans laisser la moindre trace de ton passage ; ça ne serait pas dans les règles. Je connais une masse de très belles inscriptions. Je vais tâcher de me souvenir de quelques-unes, qui suffiront pour commencer.

Il prit son crayon, griffonna sur un bout de papier, puis il lut :

1o Ici, une victime de l’injustice des hommes a poussé son dernier soupir.

2o Dans ce sombre donjon, un infortuné captif, abandonné par tous ses amis, a terminé sa misérable existence.

3o Ici, après une lente agonie, qui a duré trente-sept ans, le visage caché sous un masque de fer, a péri le fils de Louis XIV.

La voix de Tom tremblait comme s’il eût été sur le point de pleurer ; mais Jim s’attendrit d’autant moins qu’il n’y comprenait rien. Il s’insurgea de nouveau et je plaidai sa cause.

— Il a raison, dis-je. Il n’a jamais appris à écrire.

— Je le sais bien, répliqua Tom. Ce n’est pas là ce qui m’embarrasse, car je pourrais tracer les lettres moi-même et il n’aurait qu’à suivre les