— Je n’ai plus rien. Demandez à M. Thatcher, il vous dira la même chose.
— C’est bon. Je lui demanderai. Combien as-tu dans ta poche ?
— Je n’ai qu’un dollar et je ne voudrais pas…
— Peu m’importe ce que tu voudrais. Aboule et vivement !
Il parlait d’un ton si menaçant que je n’osai pas refuser. Il prit le dollar, le mordit pour voir si la pièce était bonne, se leva et déclara qu’il allait donner un coup de pied jusqu’à la taverne la plus proche, car il n’avait pas bu une goutte de whisky depuis la veille. Je crois qu’il ne mentait pas, sans cela il n’aurait guère manqué de me battre. Après s’être glissé sur le toit de l’appentis, il rentra la tête dans la chambre et me dit :
— Tu me laisses oublier mon casque… Je n’ai jamais vu un fils pareil !
Je lui apportai son chapeau, qui me rappelait celui dont je me coiffais autrefois. Il se l’enfonça sur la tête jusqu’aux oreilles et le voilà parti. Je le croyais déjà loin, quand il reparut de nouveau pour ajouter :
— Gare à toi si tu ne m’obéis pas ; je monterai la garde autour de l’école à dater de demain.
Le lendemain, grâce au dollar qu’il avait accaparé, il songeait à autre chose. Sa première visite fut pour M. Thatcher, qu’il voulait obliger « à rendre gorge », comme il disait. L’avocat refusa très carrément de se dessaisir des six mille dollars. Alors mon père éclata en injures, le traita d’escroc, de voleur, et menaça de lui intenter un procès. Il ne réussit qu’à se faire jeter à la porte.
M. Thatcher et la veuve prirent les devants. Ils s’adressèrent au juge de paix du district, afin qu’il leur confiât ma tutelle. Or, ce juge était un nouveau venu, qui ne connaissait pas mon père. Il déclara qu’à son avis on devait éviter de semer la division dans les familles. Enlever aux parents la garde de leurs enfants, c’était là une grave responsabilité. Le père s’enivrait ? Mais avait-on jamais essayé de le ramener