Aller au contenu

Page:Les Aventures de Huck Finn.djvu/45

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

— Oui, assez de bois pour acheter du whisky à la ville, et je sais ce qui m’attend à votre retour.

Je venais de m’asseoir et d’allumer ma pipe ; mais il fallut s’exécuter. Au fond, je n’étais pas fâché de le voir si pressé. Plus tôt il s’en irait, plus tôt je serais libre.

Nous longeâmes d’abord le fleuve, car le courant ne portait pas de notre côté. Enfin, nous montâmes dans le canot. Le métier de ravageur n’est pas commode sur le Mississipi. À diverses reprises, nous faillîmes chavirer sans rien attraper. Au bout d’une demi-heure, la chance nous favorisa ; elle nous envoya une dizaine de troncs détachés d’un radeau et qui tenaient encore ensemble. Nous parvînmes à les conduire à terre, puis nous rentrâmes pour nous reposer en dînant. Ce bout de radeau promettait une bonne journée. Un autre que mon père ne s’en serait pas tenu là. Mais ce n’était pas son genre, surtout quand il avait soif. Il m’enferma donc vers trois heures et partit, son radeau à la remorque. Je me mis aussitôt à l’œuvre avec ma scie, et lorsque je sortis de ma prison, il n’était pas encore arrivé au bord opposé. Son canot ne formait plus qu’un point noir à peine visible sur l’eau.

Tout en ramant, j’avais songé à un moyen d’empêcher les gens de courir après moi. Je voulais faire croire que l’on m’avait jeté à l’eau. Les histoires de voleurs dont mon père s’était effrayé m’avaient donné cette idée.

Mon premier soin fut de courir au bûcher, où je trouvai la hache, et d’enfoncer la porte, démolissant le bois autour de la serrure. Alors je commençai à déménager. J’enlevai la farine, le lard, le café, la cafetière, le sucre, les biscuits, la gourde, le baquet, la scie, les couvertures, les tasses d’étain, les lignes à pêche, les allumettes, tout ce qui valait un cent. Je nettoyai la cabine. Il fallut plus d’un voyage pour transporter les provisions et le reste jusqu’au canot.

Je fis disparaître la sciure de bois, et pour combler le trou par lequel je m’étais échappé, je n’eus qu’à rajuster la bûche enlevée, que je calai avec des pierres, car elle se recourbait un peu en bas et ne