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VIII
le steamer naufragé.


Il devait être près d’une heure du matin lorsque nous arrivâmes enfin au bas de l’île. Le radeau nous paraissait marcher très lentement. Il était convenu qu’en cas d’alerte nous sauterions dans le canot afin de gagner la côte de l’Illinois et nous cacher dans les bois. Aucune embarcation ne se montra — fort heureusement pour nous, car le fusil, les lignes, les provisions, les couvertures et le reste se trouvaient sur le radeau. On ne songe jamais à tout quand on se presse trop.

Ceux dont j’avais annoncé la visite à Jim mirent-ils le pied dans l’île ce soir-là ? Je ne l’ai jamais su. En somme, s’ils ont découvert mon feu de bivouac et passé une partie de la nuit à veiller en guettant le retour du nègre, ce n’est pas ma faute ; ils n’avaient qu’à rester chez eux. Je ne regrette qu’une seule chose — la déception que leur déconvenue aura causée à ma bonne hôtesse ; mais je suis sûr que si elle avait connu Jim, elle ne m’aurait pas gardé rancune.

Dès que le jour commença à paraître, nous amarrâmes notre radeau dans un petit renfoncement de la côte de l’Illinois. Jim abattit avec la hache assez de branches de cotonniers pour en recouvrir le train de bois et les arrangea si bien qu’à vingt pas vous auriez juré que les arbres avaient été renversés par un éboulement. Des montagnes se dressaient sur la rive qui nous faisait face ; derrière nous s’étendait une forêt non exploitée ; les vapeurs filaient le long de la côte du Missouri, de sorte qu’aucune surprise ne semblait à craindre. Nous passâmes toute la matinée à regarder les radeaux et les steamers descendre ou remonter le Mississipi. Tandis que nous nous reposions, je racontai à Jim, avec plus de détails, les incidents de ma visite à