Aller au contenu

Page:Les Braves Gens.djvu/166

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
154
LES BRAVES GENS.

moisie, et qu’il est soupçonné d’avoir attrapé un coup de soleil. Aussi l’oncle Jean s’observe-t-il avec le plus grand soin ; quand par hasard il est en faute, il reconnaît ses torts tout de suite, pour ne pas exaspérer son brosseur, qui est au fond la meilleure femme du monde.

Un jour, le brosseur se présente tout effaré chez Mme Defert.

« Madame, il est tout rouge, avec les yeux ouverts. Il me dit toutes sortes de noms et ne veut pas seulement que je le couche. »

Mme Defert, sans en demander plus long, part aussitôt et trouve l’oncle Jean au lit, un médecin à son chevet et une voisine compatissante qui lève les bras au ciel.

C’est un transport au cerveau. À l’entrée de Mme Defert, il se calme un peu, et la salue du titre de colonel ; puis il s’assoupit, puis il se réveille pour dire qu’il fait bien chaud, qu’il a rarement fait aussi chaud. Il parle ensuite de broussailles que l’on vient de traverser et d’épines de cactus qui lui ont déchiré les jambes. Le colonel se garde bien de lui dire que ces épines de cactus ne sont autre chose que des sinapismes. « Surveillez les Kabyles ! » dit le malade en s’assoupissant. Il entr’ouvre les yeux et, apercevant sa servante : « En voilà un ! » dit-il, et il la menace du poing. Le faux Kabyle se retire à la cuisine, et décharge son cœur dans celui de la voisine compatissante.

Elle n’a pas d’ailleurs beaucoup de temps pour faire ses confidences et ses réflexions. Il faut des sangsues, puis de la glace, puis de nouveaux sinapismes.

La voisine compatissante s’étant risquée dans la chambre du malade : « En voilà encore un ! dit le capitaine ; cernez-le, ne le tuez pas, faites-lui peur seulement ; qu’il dise où est l’autre. » Elle n’en entendit pas davantage et revint à la cuisine en criant : « Il est fou ! quel malheur ! »

Marthe étant survenue : « Ma sœur, lui dit-il, regardez-moi bien ; trouvez-vous, oui ou non, que ma tête ressemble à celle d’une vieille linotte ? »

Marthe, partagée entre son respect pour son oncle et la crainte de le contrarier, hésitait à répondre.

« Vous pouvez vous retirer, lui dit-il, vous ne savez pas votre métier. »

Jean, au contraire, fut fort bien accueilli.

« N’est-ce pas, major, que j’ai la tête d’une vieille linotte ?

— Parfaitement.