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LES BRAVES GENS.

fut dans la cour, il posa son homme contre le mur, et le maintint en espalier, en lui appuyant fortement les mains sur les épaules. Alors il lui demanda s’il avait envie de passer un bon petit quart d’heure sous la pompe. Et pour bien faire entrer ses paroles dans la cervelle brouillée du mauvais drôle, il le poussait, à intervalles réguliers, contre le mur, et sa tête sonnait creux.

« Pas de pompe ! pas d’eau ! dit l’homme devenu subitement aussi doux qu’un mouton. Lâchez-moi un peu ; dites, voulez-vous ? Je vous promets que je m’en irai. Ma casquette ? ajouta-t-il avec un attendrissement d’ivrogne.

« Justine, les pincettes ! » cria Robillard qui s’amusait pour son compte.

Justine apporta les pincettes. À la vue de cette arme redoutable, l’ivrogne poussa des cris de détresse, et dit que ce n’était pas de jeu. Robillard, sans perdre son temps à discuter ce point de droit, alla ramasser la loque hideuse que l’autre appelait sa casquette et la lui tendit ; l’homme la prit, et d’une main tremblante finit par se la mettre de travers sur la tête.

« Eh bien ! dit Robillard, est-ce qu’on ne dit pas merci ? » — L’homme, fasciné par l’aplomb du collégien, dit humblement : « Merci !

— Merci, qui ?

— Merci, monsieur.

— À la bonne heure ; maintenant… » Et du doigt il lui montra la porte de la cour.

L’ouvrier s’en alla sans se faire prier, mais arrivé à la porte il se retourna, et montrant le poing à Robillard : « Tout ça se payera, dit-il.

— Nous verrons bien ! » répondit flegmatiquement Robillard.

Le brave garçon n’en revenait pas de voir les gens émerveillés de son exploit.

« À la campagne, dit-il, on est souvent forcé de recourir à ce procédé. Il y a tant de mauvais drôles qui rôdent autour des fermes. »

Dans l’après-midi, les deux amis allèrent à Labridun, pour voir M. Aubry et rapporter de ses nouvelles à l’oncle Jean, qui ne marchait plus qu’avec une extrême difficulté. Ils prirent par les prés, et rencontrèrent beaucoup de monde. Tant qu’on avait été dans la ville, Robillard avait été d’une sagesse exemplaire. Une fois dans la prairie, il déclara que l’odeur du foin coupé lui montait à la tête. Il se mit à faire des bonds prodigieux par-dessus les meules, en poussant des cris aigus. Ou bien il interpellait les paysans en patois du