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LES BRAVES GENS.

visible et d’une franche gaieté. La gaieté est, dit-on, la fleur de l’esprit ; elle est aussi la marque extérieure d’une conscience paisible et satisfaite. Mme  Defert sent qu’elle n’a pas besoin de commenter ces lettres pour y découvrir un sens caché ou des sous-entendus ; elle n’a pas besoin de lire entre les lignes. L’âme de Marthe n’a point de secret ; elle est franchement heureuse, comme une âme à qui il a été donné d’atteindre le but qu’elle avait rêvé, et qui n’y a trouvé ni désenchantement ni mécompte. Une chose que Marthe ne songe même pas à dire, c’est tout le bien qu’elle fait autour d’elle. Il en revenait parfois quelque chose aux oreilles de sa mère, qui se sentait envahie alors par une sorte d’orgueil mélangé de joie et de tristesse. Lorsque Jean voyait, dans ces occasions, sur les lèvres de sa mère un certain sourire qu’il connaissait bien, il se levait, l’embrassait sans rien dire et lui prenait la main qu’il gardait longtemps dans les siennes. Ils ne se disaient rien, et ils n’avaient pas besoin de se parler pour se comprendre. Jean avait toujours aimé et admiré sa mère, il savait maintenant pourquoi il l’aimait et l’admirait. Une douleur sincère, comme celle que lui avait causée le départ de Marthe, est une initiation à toutes les délicatesses du sentiment vrai. Le sens intime que le chagrin avait créé en lui, lui permet de lire dans son propre cœur et dans celui de sa mère.

L’oncle Jean, qui s’était attendu, sans oser le dire, à voir arriver des lettres en style de « nonnette sucrée », avec de petites homélies mystiques et des exhortations particulières pour chacun des membres de la famille, fut fort agréablement surpris en voyant la sincérité, la franchise des lettres de sœur Agnès, et surtout cette bonne gaieté qui l’avait toujours rendue si charmante. La première fois que Mme  Defert lui en donna une à lire, il s’écria, en essuyant les verres de ses lunettes :

« Dieu soit loué ! c’est toujours notre bonne fille ; cela fait du bien de voir comme elle est heureuse ! »

Et il alla colporter la bonne nouvelle chez tous ceux qu’elle pouvait intéresser. M. Defert, peu à peu, se réconcilia avec l’idée de voir Marthe heureuse loin de lui et sans lui. Mme  Nay, tout entière aux préparatifs de départ de son mari, absorbée par le soin de commencer elle-même l’éducation de son bébé, n’avait pu s’appesantir autant que les autres sur ses regrets. L’enfant était à la fois turbulent et charmant, il mettait de la vie et de l’animation dans la maison. Il aimait beaucoup sa grand’maman, ce bébé et sans cesse il avait