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LES BRAVES GENS.

lard, en sautant de joie sur sa selle. Puis tout à coup, se rappelant qu’il est dans son rôle d’être grave, il se tourne vers Jean qui n’a pas dit un mot. « Pourquoi, lui dit-il, ô Télémaque, ces vaines démonstrations d’une joie insensée ? Est-ce parce que nous approchons de l’île de Calypso ? Fuyez, fuyez, ô mon cher fils, les tentations sans nombre qui assaillent une jeunesse frivole dans l’île des plaisirs ! Ne vous faites point de ces folles visions de singes savants, de chevaux de bois, de pavés de pains d’épice et de tourniquets où l’on gagne des porcelaines dorées et peinturlurées. N’ouvrez pas d’avance vos narines aux senteurs enivrantes de la friture en plein vent. Modérez vos passions, mon cher fils ; comme nous avons peu de temps devant nous, évitons les tentations et… coupons au plus court. »

Imitant le procédé brusque mais salutaire du vrai Mentor, qui précipita Télémaque du haut d’un rocher dans la mer, parce que le seul raisonnement ne suffisait pas à le tirer de l’île de Calypso, il coupa brusquement à droite par un petit chemin vicinal. Il laissait ainsi à gauche les parfums, les bruits, en un mot toutes les tentations de la foire.

« Vois-tu, reprit Robillard, on nous aurait pris pour des montreurs de chevaux savants, et le populaire en délire nous aurait empêchés de continuer notre route. » Le petit chemin, en sa qualité de chemin non classé, était jonché de cailloux roulants, et coupé de petites fondrières en miniature ; il fallait veiller sur les montures, et l’on n’avait pas le loisir de parler. Robillard se mit à siffler un air de chasse, puis à pester contre le chemin, affirmant qu’il dénoncerait cet état de choses à M. Schirmer, puisqu’il était si versé dans la question des voies de communication.

Voici la Grenadière, dont les toits pointus semblent percer le feuillage des grands marronniers ; voici la grande cour d’entrée, envahie par les herbes folles, toute pleine d’instruments de labour, coupée de trous à fumier et complètement déserte. Le bruit des chevaux évoque enfin un valet de ferme qui apparaît à la porte d’une écurie, les yeux bouffis de sommeil, les cheveux pleins de foin, et mâchant par contenance un long brin de paille. Tout le monde est à la foire, sauf la maîtresse qui ne marche plus guère. Le valet prend par la bride les chevaux qu’il regarde avec défiance, et les visiteurs, sur ses indications, se mettent à la recherche de la dame du logis.

La Grenadière est un ancien castel, très-rustique, mais où du moins l’espace n’a pas été ménagé. Les pièces, hautes et claires, reçoivent le jour par de grandes fenêtres en anse de panier, avec des meneaux