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Page:Les Braves Gens.djvu/220

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LES BRAVES GENS.

Enfin, elle avait de si bons yeux et un si bon sourire, qu’au bout de cinq minutes Jean se demanda pourquoi il avait comparé un instant cette digne femme à une pomme de reinette.

Comme elle avait l’haleine courte, elle procédait surtout par exclamations et par petites phrases coupées. « Hein ! mon garçon, — ton père va bien ! — Tant mieux. — Son affaire avec l’entrepreneur arrangée, — hein ? — Bien ! — » Puis elle fit à Jean un récit saccadé et pittoresque de l’enfance de Robillard, de ses prouesses, de ses réparties, de ses méfaits, de ses succès. Elle fit, en passant, l’apologie de sa pipe ; elle tenait à s’excuser d’avoir été surprise avec un engin si peu féminin. Le médecin lui avait d’abord ordonné certaines cigarettes où il entrait je ne sais quelle drogue. Cela lui tournait la tête au point qu’elle ne distinguait plus un épi de blé d’un épi de seigle. Alors il lui avait ordonné la pipe, qui lui réussissait. Quand elle apprit que ses visiteurs avaient passé à côté de la foire sans vouloir s’y arrêter, elle en exprima son étonnement. À leur âge ! se priver d’un si grand plaisir ! c’était trop raisonnable ! Il leur fallut, bon gré, mal gré, repartir une demi-heure plus tôt qu’il n’était nécessaire, afin d’y jeter au moins un coup d’œil. Aucun argument de leur part ne put prévaloir contre cette décision : ils partirent à l’heure dite.

« Alors, c’est décidé, dit la tante Edmée, tu étudieras pour être médecin ? — Tout décidé, ma bonne chère tante. — Eh bien ! prends cela (et elle lui glissa dans la main une pièce de dix francs, enveloppée dans une feuille du Double Liégeois de l’an dernier). — Vous trouverez, dit-elle, tout notre monde à l’auberge du Chien qui fume, chez Bridet. Un des garçons de la ferme tiendra vos chevaux pendant que vous parcourrez la foire. Ils n’ont besoin de rien ; ce n’est pas la peine de les mettre à l’écurie pour si peu de temps, ce serait une dépense inutile. »

Les chevaux firent un grand effet tout le long du village de Valserre. Le peu de temps que les deux amis avaient devant eux fut bien consciencieusement employé. Ils passèrent rapidement devant les phénomènes vivants, qui n’avaient d’attrait ni pour l’un ni pour l’autre ; mais ils s’arrêtèrent aux chevaux de bois, et y firent grimper tous les enfants qui se contentaient de les regarder tourner, faute d’argent. Ils tombèrent au beau milieu de la famille Loret, qui était au grand complet, et qui jouissait, avec une simplicité patriarcale, de toutes les merveilles que l’on peut voir sans payer. Sans qu’on sût comment cela s’était fait, ni qui on devait remercier, les plus jeunes membres