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Page:Les Braves Gens.djvu/28

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LES BRAVES GENS.

le capitaine Salmon en était. « Eh bien, monsieur Loret, entrez avec nous, et venez signer comme témoin au registre de l’état civil ; c’est un garçon, vous savez. — Bravo ! lui dis-je, et nous entrons. »

Carville bâilla avec affectation. La ménagère qui regardait l’huissier avec curiosité, et qui prévoyait quelque chose, pria, en termes peu courtois, son seigneur et maître de ne pas interrompre.

« Comment vont les affaires ? me dit-il quand c’est signé et paraphé. — Peuh ! tout doucement. » Voilà tout d’un coup une idée qui me pousse dans la tête. Alors je lui dis : « Tenez, monsieur Defert, j’ai en ce moment… » bref, je lui conte toute votre affaire. « Bon ! bon ! bon ! qu’il disait. Oh ! la bonne farce ! »

— Ça, c’est trop fort, grogna Carville.

— Mais, tête de bois, lui dit sa femme avec impatience, tâche donc seulement de te taire. Monsieur Loret, faites excuse.

« Oh ! la bonne farce, qu’il me dit. Ce sont de braves gens ? Bon ! leur créancier est trop dur ? Bon ! Eh bien ! je vais leur en donner un qui sera plus patient. Arrangez cela, monsieur Loret. Ce sera mon petit Jean, oui, monsieur, qui sera leur créancier ; rachetez pour lui cette créance. Et si ce créancier-là les tourmente de longtemps, j’en serai bien surpris. Et moi aussi, dit le capitaine. Et moi donc ! que je leur dis. Alors c’est une affaire arrangée, mettez cela au nom de M. Jean Defert, de la maison Defert et Cie. »

« Je ne veux pas qu’on m’interrompe ! dit Loret en voyant que Carville ouvrait la bouche. C’est d’hier matin cela. Hier, je grillais de venir ici, je n’ai pas pu. Alors je me suis dit qu’en me levant quelques heures plus tôt aujourd’hui, et en retardant l’heure de mon déjeuner, j’aurais le temps de venir vous conter cela. »

Carville tout honteux de ce qu’il avait dit dans son emportement, ne savait plus quelle figure faire. À la fin, sa physionomie s’éclaircit, et prenant son parti en brave, il sortit de son retranchement et tendit la main à l’huissier.

« Monsieur Loret, dit-il, je ne suis qu’une tête de bois, c’est ma femme qui l’a dit. Vous êtes un brave homme ! un digne homme !

— Vous, la mère, reprit tranquillement M. Loret, vous irez, dès aujourd’hui, remercier M. Defert ; ça sera convenable. Allons, il est temps que je parte. Oui ! oui ! c’est bon, ajouta-t-il en réponse aux remerciements de la femme et du mari. Faites ce que je vous dis, et