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LES BRAVES GENS.

cice. Il rentra à l’hôtel, se prit la tête dans les deux mains et se demanda s’il irait à Oran.

« Non, je n’irai pas ! » se dit-il en frappant du pied avec indignation. Et aussitôt la crainte de passer pour déserteur le décida à partir.

Comme il était devenu replet, et qu’il avait un peu négligé les exercices du corps, il exécutait toujours les mouvements un temps trop tard ; les conscrits mêmes s’amusaient de lui. Aussi voyait-il arriver avec terreur l’heure de l’exercice. Les courses au soleil le rendaient si misérable, qu’il se perdait dans les projets les plus insensés. Il songeait à s’enfuir et à se faire Arabe, ou à se coucher dans un fossé, à fermer les yeux et à se laisser mourir, ou à attaquer un lion et à se faire mettre en pièces par lui. Mais le métier d’Arabe a bien aussi ses petits inconvénients ; se coucher dans un fossé, c’est s’exposer à être dévoré vivant par les fourmis. Quant aux lions, ils étaient fort rares cette année, et l’on n’en voyait pas un seul dans les environs d’Oran. Peu à peu cependant, à force de bonne volonté et d’ardeur, il finit par savoir ce que doit savoir un soldat pour se battre, sauf le petit inconvénient d’arriver un temps trop tard. Il en avait pris d’ailleurs son parti et ses instructeurs aussi. Malheureusement, quand il fut capable d’entrer en ligne, la paix était signée. Il fut renvoyé dans ses foyers, objet de raillerie pour la belle Hermance. Afin de le punir des inquiétudes qu’il lui avait causées, elle affectait de croire qu’il ne s’était sauvé de Châtillon que pour faire un voyage d’agrément dans le Midi.