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Page:Les Braves Gens.djvu/39

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LES BRAVES GENS.

demanda à Marguerite : « Est-ce que monsieur Charles est dans la maison ?

— Oui, mademoiselle.

— Il est venu dans cette salle ?

— Oui, mademoiselle. »

Le nez de Mademoiselle se pinça (signe de mécontentement), et elle déclara d’un ton sec que maintenant elle comprenait tout.

« On voit bien que maman ne peut pas descendre, dit Marguerite pour expliquer ce qui s’était passé. Il n’écoute qu’elle. Ah ! mon Dieu ! il va affoler toute la basse-cour, réveiller mon petit frère, et donner la migraine à maman. »

Tout à coup, les animaux cessèrent de crier, et l’on entendit dans le jardin le bruit d’une discussion, suivie d’une rixe. Thorillon, champion chevaleresque du repos de Madame, venait de vaincre Charles en combat singulier et l’expulsait ignominieusement du jardin. Thorillon rentra dans les bureaux en rajustant le collet de sa veste, tout fier de sa victoire, et secouant la tête d’un air menaçant. Quant à Charles, toute sa jactance était tombée, et, debout dans un coin, il boudait d’un air hargneux, en attendant sa mère pour partir.

Thorillon, faute de connaître l’histoire, et d’y avoir lu les exemples de magnanimité des héros vainqueurs de l’antiquité et des temps modernes, se laissa monter la tête par son récent triomphe et par les applaudissements des commis. Il montrait de temps à autre à la fenêtre sa face blafarde et sa chevelure rougeâtre. Il demandait à Charles s’il avait bien son affaire, et si, par hasard, il ne lui en faudrait pas encore autant.

Quand sa mère le prit en passant, Charles la suivit comme un roquet battu. Mais une fois dans la rue, et hors des atteintes du terrible Thorillon, il montra le poing à la maison, d’un air menaçant. La bonne dame fut si scandalisée et si effrayée de cet acte inouï, qu’elle prit sur elle de gronder son fils. Il s’en vengea en disparaissant à certains coins de rue, pour reparaître plus loin après avoir fait un détour, en faisant allusion chaque fois à quelqu’un qui en avait assez de la vie, et qui, pour attraper certaines gens, ne serait pas éloigné d’aller se jeter dans la Louette.