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LES BRAVES GENS.

Mme  Defert voyait tout cela ; elle en souffrait cruellement, et se demandait quel était le meilleur moyen de ramener son fils.

Pour bien des gens, en pareil cas, le remède est aussi simple qu’inefficace. On mande le délinquant, on lui démontre qu’il est un égoïste, ce qui le révolte et le met de mauvaise humeur. On s’irrite de sa mauvaise humeur, il nie ; on l’accuse de mauvaise foi et de mensonge, ce qui n’est pas fait pour le calmer et l’adoucir. Une âme troublée ne peut voir clair en elle-même. On le prend de plus haut, on le menace, à la première rechute, de le mettre au pain sec, ou de lui ôter sa montre, ou de ne pas le conduire à la foire. Puis, on s’aperçoit qu’il est l’heure d’aller à un rendez-vous, ou de faire une visite, ou de conclure une affaire importante ; on lui arrache alors la promesse de ne plus « le faire » ; on s’attendrit, on l’embrasse. Rendu à lui-même, l’enfant, qui est naturellement léger, ne se souvient plus de ce qu’on lui a dit, ni de ce qu’il a promis. Survienne une tentation ; qui le met en garde contre elle ?

Il sait d’avance, à cinq minutes près, combien durera le sermon, à quel moment précis on l’embrassera, et ce qu’on lui fera promettre encore. Tout compte fait, il trouve le marché avantageux pour lui, et en accepte d’avance les conséquences. Je ne dis pas qu’il n’éprouvera pas quelques scrupules et quelques remords ; mais les scrupules et les remords d’un enfant ne sont pas assez forts par eux-mêmes pour qu’il triomphe d’une habitude agréable et bien enracinée. En vérité, je ne saurais dire au juste quel moment choisissait Mme  Defert, ni de quels moyens de persuasion elle se servait, mais elle amena peu à peu son fils à faire cette découverte inattendue, que nos fantaisies et nos exigences peuvent gêner les autres et leur déplaire. Il mit le temps pour y arriver, mais il y arriva. Socrate, qui s’y connaissait, n’employait pas d’autre méthode avec ses interlocuteurs.

Un jeudi matin, deux ou trois mois après la collation manquée, Jean découvrit tout à coup que les autres ne sont pas faits exclusivement pour nous servir. Comme il est intéressant de connaître tous les détails qui ont accompagné les grandes découvertes, je dois dire que quand le petit bonhomme fit celle-là, il avait les jambes en l’air. Confortable ou non, c’est la pose qu’il avait choisie pour lire Don