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LES BRAVES GENS.

M. Nay, sinon qu’il n’était pas millionnaire. Mme Defert lui ferma la bouche en lui demandant s’il s’était jamais repenti d’avoir épousé une femme sans fortune.

M. Defert avait fait la réponse familière aux gens embarrassés, à savoir que ce n’est pas la même chose.

« Justement la même chose ! » lui avait répondu Mme Defert en riant. Marguerite avait de la fortune pour deux ; d’ailleurs M. Nay serait un jour aussi riche, peut-être plus riche que sa femme. C’était un esprit sérieux, un chercheur ; il avait fait déjà des découvertes que l’on appliquait avec succès. Marguerite avait vingt ans ; il était temps de songer à l’établir ; et Mme Defert ne voyait pas, en regardant bien autour d’elle, un seul homme à qui elle fût plus heureuse de confier l’avenir de son enfant.

En conséquence, Mme veuve Nay avait fait officiellement la demande, et le mariage devait avoir lieu au commencement de l’hiver.

Voilà pourquoi Marthe faisait une aquarelle, et pourquoi Jean n’aimait pas M. Nay.

« Pourquoi, chéri, reprit Marthe en lui lissant les cheveux, n’aimes-tu pas M. Nay ?

— Parce qu’il nous prendra Marguerite, et qu’il l’emmènera loin de nous.

— Mais, chéri, nous ne devons pas songer qu’à nous ; et si Marguerite doit être heureuse, réjouissons-nous de son bonheur, quand même il nous coûterait des regrets. Est-ce que tu crois que papa et maman, et moi-même, nous n’aimons pas Marguerite aussi ? »

Jean devint très-rouge. Marthe, sans le savoir, venait de lui donner la même leçon qu’il avait reçue de Don Quichotte.

« Tu as raison, reprit-il ; il est temps que je tâche d’aimer M. Nay. Veux-tu que je le regarde dessiner, c’est si amusant ! Je le promets que je ne bougerai pas. » — Et tout en la regardant dessiner, il roule bien des pensées dans sa petite tête. Ses idées se suivent dans un désordre pittoresque : « Comme Marthe est jolie ! avec ses grands cils, et sa coiffure si simple et si modeste ! On a beau dire ; moi, je la trouve bien plus jolie que la sœur de Bailleul, avec ses tire-bouchons, ses frisotons et sa poudre de riz. — Qu’est-ce que maman dirait, si elle savait que je suis un égoïste ? — Voilà Marthe qui ferme les yeux à moitié pour regarder son dessin, ses yeux ont l’air de rire : quelles jolies fossettes sur ses joues ! elle est bien mieux que la sœur d’Ardant avec son gros paquet de cheveux sur la tête. — J’ai envie