Page:Les Cahiers de la quinzaine - série 10, cahiers 11 à 13, 1909.djvu/284

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secrètement. Presque publiquement. Mais je ne m’en consolerai jamais. Parce que je tiens à être ridicule, et seul, et déplorable. Et parce que je tiens à être ridicule j’en parlerai toujours. Une occasion unique (s’)était offerte de régénérer ce peuple. Une fortune. Un coup de fortune. Une occasion qui ne se représentera jamais. Comme il n’y en a pas deux, dans la vie d’un homme. Dans la vie d’un peuple. Comme ça n’arrive pas deux fois. Comme il n’en est pas donné deux à la même personne, homme ou peuple. À la même histoire. À la même aventure. Ce crime a inauguré notre vie publique, notre vie civique. En réalité il a inauguré toute notre vie ; et on ne peut se défaire de son inauguration. Irrévocablement il commandera toute notre vie de ce temps ; non seulement notre vie publique et civique ; mais toute notre vie intellectuelle et morale, mentale ; et même physique. Car il y a une atteinte physique de toutes les atteintes, une atteinte charnelle, une inscription physique de tous les anciens crimes. Il a inauguré, aussi, et ensemble, et d’ensemble, de déchéance en déchéance, de démagogie en démagogie il a commandé, il a fait cette déchéance où nous sommes ; il nous a mis où nous sommes.

Je ne m’en tairai jamais. J’en resterai, j’en demeurerai, je m’en laisserai toujours inconsolable. Je n’ai jamais tant senti, aussi nettement, ce que c’est qu’un événement historique, qu’une fois, et que c’est toujours un monument historique, je ne l’ai jamais autant éprouvé ; qu’une fois ; c’était un gamin de dix-huit ans, qui était venu ; et à qui j’en vins, je ne sais comment, à parler de l’affaire Dreyfus. Un gamin. Je me rappelle