Page:Les Entretiens d’Épictète recueillis par Arrien.djvu/368

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larmes; de même si tu t’attaches à un nouveau pays. Pourquoi donc vis-tu, si c’est pour entasser chagrins sur chagrins, afin d’être malheureux? Et c’est là ce que tu appelles aimer tous tes amis! Mais les aimer de quelle façon, o homme? Si cette façon était bonne, elle ne serait la cause d’aucun mal. Si elle est mauvaise, je n’ai rien à faire d’elle. Je suis né pour être heureux; je ne suis pas né pour être malheureux.

Comment donc se préparer à ce que je demande? Le premier moyen, le moyen le meilleur, le moyen souverain, celui qui est la clé de tout, pour ainsi dire, c’est de ne s’attacher à personne que comme à une chose qui peut nous être enlevée, comme à une chose qui est de la même nature que les vases d’argile et les coupes de verre. Que le vase se brise, et, nous rappelant ce qu’il était, nous ne nous troublerons pas. De même ici, quand tu embrasses ton enfant, ton frère, ton ami, ne te livre jamais tout entier à ton impression, ne laisse jamais ton bonheur aller aussi loin qu’il le voudrait; mais tire en arrière, et modère-le; fais comme ceux qui marchent derrière le triomphateur, et qui l’avertissent qu’il est homme.

Donne-toi à toi-même cet avertissement: « Tu embrasses quelque chose de périssable; tu embrasses quelque chose qui n’est pas à toi, quelque chose qui t’a été donné pour un moment, et non pour ne t’être jamais enlevé, et pour t’appartenir sans réserve. Il en est de cet être comme des figues et des raisins, qui te sont donnés à un moment précis de l’année, et que tu serais fou de désirer pendant l’hiver. »