Page:Les Entretiens d’Épictète recueillis par Arrien.djvu/460

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que l’on est riche, avec passion que l’on est magistrat, avec passion que l’on a une belle femme dans son lit: arrivent alors la jalousie, la crainte de perdre ce qu’on tient, les propos honteux, les honteux désirs, les actes déshonorants.

— « Et qu’est-ce que j’y perds? » dit-on. — Homme, tu avais le respect de toi-même, et tu ne l’as plus maintenant. Est-ce là n’avoir rien perdu? Au lieu de Chrysippe et Zénon, c’est Aristide et Évenus que tu lis. Est-ce là n’avoir rien perdu? Au lieu de Socrate et deDiogène, ceux que tu admires sont ceux qui peuvent corrompre et séduire le plus grand nombre de femmes. Tu veux avoir de belles formes, et, comme tu n’en a pas, tu t’en fais. Tu veux étaler un vêtement éclatant, pour attirer les regards des femmes; et, si tu peux mettre la main sur une boîte dé parfums, tu te trouves au comble du bonheur. Auparavant, tu ne songeais à rien de tout cela, mais ton langage était honnête. Tu étais un homme estimable; tes sentiments étaient nobles. Par suite, tu étais au lit ce qu’y doit être un homme, tu marchais comme doit le faire un homme, tu portais les habits que doit porter un homme, tu tenais le langage qui sied à un homme de bien. Me diras-tu maintenant que tu n’as rien perdu? Serait-il donc vrai que rien ne se perd chez nous que la fortune? que le respect de nous-mêmes ne se perd pas? que la décence du maintien ne se perd pas? ou que ceux qui perdent tout cela ne s’en trouvent pas plus mal? Tu ne crois peut-être plus aujourd’hui que l’on perde quelque chose en perdant tout cela; mais il fut un temps où tu pensais que c’était la seule perte qu’on pût faire, le seul dommage qu’on