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Page:Les Français peints par eux-mêmes, tome 4, 1841.djvu/365

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blerait pas trop mal peut-être au bruit que feraient, poussées en fausset et les lèvres serrées, les lettres suivantes : trrrrrrrrrrrrrrruuuuuu !

M. le chambellan bondit sur sa chaise, se leva d’un bloc, et s’écria avec entraînement : « À l’auteur, le chanteur, notre grand Lucifer !… Joignons les griffes !  !  ! »

Et une triple salve d’applaudissements éclata comme un tonnerre au milieu de la fumée du tabac.

M. le chambellan prit alors sur son bureau une liste des noms recueillis dans l’assemblée, et dit :

« La parole est, en premier, au démon Zéphon ; en second, au sorcier Philibert ; en troisième, au démon Melmoth. »

« Qu’est-ce qu’un sorcier ? demandai-je à mon camarade le démon Kosby.

— C’est un visiteur, me dit-il à voix basse. On désigne également par ce nom les chansonniers qui ne sont pas affiliés à l’enfer ; Béranger est appelé le grand sorcier. Il n’y a du reste aucune différence réelle entre les sorciers et les démons, et ceux-ci n’ont pas plus de privilèges que ceux-là. Comme vous voyez, ce n’est pas là une association, aux termes de la loi. Eh bien ! la police nous tourmente à chaque instant. Elle arrive souvent, habillée en sergents de ville, tantôt ici, tantôt ailleurs, et s’empare de ceux d’entre nous qu’elle croit à sa convenance. On les met en prison, on les juge au bout de quatre ou cinq mois ; et, comme les affiliés ne sont presque jamais en majorité dans ces réunions, il arrive le plus souvent que ce sont de pauvres sorciers qui y venaient pour la première fois, que l’on a pris. On les acquitte, c’est vrai ; mais ils n’en ont pas moins été privés de leur liberté pendant plusieurs mois. Et tout cela, pourquoi ! Personne ne le sait.

— Vous chantez peut-être des chansons obscènes ?

— Tout le temps que l’on a chanté ces choses-là exclusivement, on nous a laissé en paix. Aujourd’hui que nous cherchons à donner à nos pensées une direction plus haute, on nous traque, on nous persécute, et on laisse faire les voleurs.

— Mais que chantez-vous donc, maintenant ?

— Écoutez le démon Zéphon, me dit Kosby ; vous comprendrez peut-être ce qui pour nous est encore une énigme, les incessantes tracasseries auxquelles nous sommes en butte. »

Zéphon était debout, la figure calme, inspirée et pénétrée profondément des paroles qu’il répétait. C’était une chanson contre l’institution du bourreau, et dont nous avons remarqué surtout le couplet suivant :


Ce criminel, hélas ! avant de l’être.
De sa raison déjà portait le deuil,
On lui devait une loge à Bicêtre ;
Clamart reçut ses débris sans cercueil.
Détruire un fou n’est plus qu’un acte infâme
Quand du délire on guérit le cerveau.
Changeons le juge en médecin de l’âme :
L’humanité crie : À bas le bourreau !