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LES C0LLECTIO’EUHS.

rières, les bibliothèques de leurs manuscrits et les arsenaux de leurs armes ; il pillera sans pitié toutes les collections publiques ; il achèvera de jeter a terre de vénérables ruines pour en emporter quelques clous, quelques chapiteaux ; partout où il pourra prendre, il prendra dans l’intérêt de sa collection. 11 prodiguera ses conseils aux artistes, il se fera citer dans vingt journaux comme un antiquaire distingué, qui sacrifie tout a son goût pour le moyen âge, qui entame sa fortune, qui la dilapide, qui la gaspille ; quelques âmes charitables parleront de faire interdire cethonnête fou ; on plaindra sa femme, sa fille et la fille de sa fille, et les petits-enfants de ses petitsenfants. Puis tout à coup, un beau jour, le collectionneur brocanteur, après avoir préparé ce qu’il nomme, dans son argot de brocanteur, la place, après avoir par une marche habile fait monter le prix de la curiosité à son plus haut point, se décidera a vendre sa chère coUeclion, le sang de ses veines, la moelle de ses os, la chair de sa chair, son âme

Mon brocanteur s’était fait collectionneur avec six mille livres de rente pour toute fortune ; il se retirera de son commerce avec pliisde quarante, la réputation d’ami des arts, et le titre de membre de la Société des Antiquaires. Après avoir ainsi décrit le collectionneur poète, fou, monomane, il me resterait à parler du collectionneur fashionable ; mais peu de mots ferontjuger ce personnagequi n’a ni caractère, ni passion, ni quoi que ce soit, et qui n’est qu’un produit delà mode. Le comte de Brevailles, le plus élégant des collectionneurs fashionables, me montrait dernièrement dans son armeria l’épée de Jeanne d’Arc ciselée par Benvenulo Cellini, et quelques pièces d’un service de fa’ience de l’admirable Bernard de Palissy, portant le millésime de 508 et le chiffre de Louis XII.

En résumé, si le collectionneur est de bonne foi dans son amour, dans sa passion, il s’avance plus ou moins vite vers la folie ; s’il est brocanteur, c’est un intrigant, et s’il est fashionable, ce n’est rien. Je voudrais être député un seul jour pour proposer ’a mes collègues une loi ainsi conçue :

Considérant que, depuis quelques années surtout, la France monumentale et artistique est de tous côtés, et pour le bon plaisir des collectionneurs et de leurs collections, dépecée par morceaux :

ARTICLE UNIQUE.

Tout collectionneur est soumis à perpétuité à la surveillance de la haute police. Comte BORACE DE Viel-Castel.