Page:Les Français peints par eux-mêmes - tome I, 1840.djvu/194

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15’. LA GARDE.

lors elle devient tout h fait nécessaire jusqu’au moment où clic est paivciuic à foi mer la bonne, et Dieu sait avec quelle arrojjance elle donne ses conseils a la malheureuse novice, qui se garde bien de lui déplaire en la moindre chose, tant elle croit sa place attachée a l’approbation de la garde. C’est donc toujours à sou grand regret ( même à part le tort qui peut en résulter pour clic le jour du baptême), que madame Jacquemart en arrivant trouve une nourrice établie ; aussi cette pauvre femme devient-elle habituellement l’objet de son antipathie, et se fait-elle une étude de la critiquer et de la vexer tant que la journée dure ; si l’enfant crie : n Ce pauvre amour mcuil de faim. » S’il tette : «On le fait teler trop souvent, il faut savoir gouverner un enfant pour la nourriture, et cela ne s’apprend pas en un jour. » Il en est de même du talent d’emmailloKci’. (aient que madame Jacquemail possède par excellence, cti sorte qu’elle n’épargne pas ses avis a la nourrice. « Prenez garde, prenez garde, vous le serrez trop, il devient tout rouge. »

(I Otez donc cette grande épingle que vous avez placée si près de son petit cœur, il n’en faut pas tant poui’ tuer- un enfant, n Et la jeune mère de frémir, de crier a la nourrice du fond de son alcôve : « Ecoutez madame Jac<iuemart, je vous prie, ma chère ! faites ce qu’elle vous dit de faire ! » et madame Jac(iuemart de jouir au fond de son âme, et de relever la tète avec autant d’orgueil qu’un jiénéral d’armée qui vient de gagner une balaille.

Le sentiment de son importance n’abandonne jamais madame Jacquemart ; mais il ne s’oppose point a ce que, selon la circonstance, elle ne se dépouille d’une certaine roidcuriespcctueuse pour montrer beaucoup de bonhomie. Cette mélamorphose s’opère pendant le trajet qu il lui faut parcourir pour se transporter de Ibôlcl dune duchesse dans une arrière-boutique. Elle arrive chez M. Leroux, gros boucher de la rue Saint-Jac(iiies, dont pour la troisième ou quatrième fois la femme vient de réclamer ses soins, i’^llccnlrcd’un air jovial et sansla( ;on, saluant les garçons bouchers d’un sourire de connaissance, fait un signe de tête amicala la petite bonne. « Eh bien, monsieur Leroux, dit-elle, avec un gros rire, vous m’avez donc encore taillé de la besogne ? Tant mieux, tant mieux : cette chère madame Leroux ! J’espère que nous nous tirerons aussi bien de cette affaire-ci que nous uoussonuncs tirées des autres. » Ici, tout est fait simplement, rondement, sans phrases. La causerie avec l’accouchée ne tarit pas, car madame Leroux s’amuse des récits (jui lui donnent un aperçu du grand monde, qui lui peignent des femmes élégantes, des hôtels somptueux, mille détails de la vie des riches qu’elle ne connaitrait pas sans sa garde, et madame Jacquemart épuise tout a son aise son recueil d’histoires tragiques et bouffonnes. Elle se montre d’ailleurs tout à fait bonne femme , n’exige jamais rien , ue gêne personne , est toujours |iictc h rendre (]uelquc service de ménage et va soigner elle-même son café ilans la petite cuisine ; « car il ne faut pas croire qu’elle prenne jamais des airs de princesse ])arce (pielle garde de grandes dames. » H résulte de cela que madame Jacquemart est traitée chez monsieur Leroux comme une amie de la maison. Elle prend ses repas avec la famille et les garçons, sans en excepter le dîner du bapicmc, et quand jiour le dessert arrive le fromage, M. Leroux va chercher une bouteille d ancienire eau-de-vie de Cognac, qu’il