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172 LE MELOMANE.

voiis (les billets d’iiivilalioii se Icnninaiil par celte formule : Ou fera un peu de musique. Ce sont de vérilaMes îjiiet-apeiis.

A tout prendre, nous préférons encore l’ancien usage des chants entre la poire et le fromage aux modernes réunions dans un salon tout exprès pour y subir de la musique de famille ou de voisinage. A table, du moins, ou avait mille moyens polis d’éluder les approbations de rigueur et de dissimuler son ennui. Lin verre porté a propos aux lèvres servait a masquer le sourire et le bâillement. On pouvait se donner une contenance à l’aide de l’épluchement d’un fruit ou d’une transposition de couteaux et de fourchettes. Dans une soirée musicale, au contraire, sur un fauteuil à découvert, on reste exposé sans défense, sans refuge, au martyre auriculaire, aux regards ombrageux des parents et des amis. Pas moyen de se soustraire ’a Ve.récnlion. Nous en dirons autant des prétendus concerts d’amateurs, aujourd’hui multipliés d’une manière effrayante, et qui constituent un véritable fléau, que nous appellerons le inusica-morbus.

Tous ces fâcheux abus prennent leur source dans la manie prétentieuse qui s’est généralement emparée du dilettantisme bourgeois. Il n’est si mince fredonneur ou ménétrier de salon qui ne veuille briller ; il lui faut donc un auditoire et des claqueurs ad hoc. Ce travers ne s’est pas seulement emparé de la jeunesse et de l’âge mûr, il a gagné jusqu’à l’enfance. Depuis (pielques années, chaque famille met son amour-propre à posséder dans son sein un ou plusieurs petits virtuoses. Le piano, le violon, la flûte, voire même la clarinette, ont remplacé, comme aiuusements du jeune âge, la poupée, le cerceau et le ballon. L’étude du solfège a été substituée a la lecture des contes de la Mère-l’Oie. On distribue aux enfants des tartines de musique au lieu de tartines de confitures.

C’est ce qui fait que nous rencontrons a chaque pas des Malibran, des Grisi de dix ans et au-dessous ; des Hertz en bourrelet et des Paganini en jaquette. On appelle ces artistes [irématurés de pelils prodige.t... de ridicule, soit. Les classes populaires, elles aussi, ont été atteintes de la prétention mélomane. Elles dédaignent la grosse gaieté des chansonnettes du vieux temps ; elles font fi des recueils imprimés sur papier brut avec couvertures rougeâtres, et contenant les inspirations peu musquées des ménestrels de carrefour. On veut chanter des morceaux il la Râpée, à la Courtille et sous les piliers du marché aux légumes. Il n’est pas rare d’entendre un robuste fort de la halle roucouler la romance langoureuse et poiirinaire ; un inculte gamin du boulevard du Temple, chanter « le noble fils des |)reux, n ou II le beau pase, brillant d’or et de soie. « Témoin encore la romance de la Sultane :

Verse sur moi les parfums dWrabie,

qui fait les délices des marchandes de harengs et de friture. L’ambitieux désir de se signaler, de se singulariser musicalement, a fait de plus éclorc de nos jours une foule de soi-disant réformateurs et novateurs lyriques. A une époque éloignée de quelque cinq raille ans, Salomon s’écriait : « H n’y a rien de nouveau sous le soleil ; » h plus forle raison pouvait-on croire qu’après les Haydn,