Page:Les Français peints par eux-mêmes - tome I, 1840.djvu/260

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vaiilait. 11 me tlrnianilail des conseils ; il fiait éiioiilii cl lidulilé ; la litc lui loiiinail, et il avait des vertiges, comme s’il se fût lioiivé Iraiispoité loiit a coup au sommet d’uu édifice élevé. Je le rassurai de mon mieux, n’osant pas trop rire de ses frayeurs ; car, dans ses craintes, on voyait percer de singuliers mouvements de vanité secrète et même d’orgueil pour le tilre dont il était revelu.

Dans les premiers moments, il rechercha mes avis ; plus lard, peu de lenips après, il m’offrit sa protection.

Il s’opéra dans la personne d’Auguste une métamorphose, sinon subite, prompte du moins et presque totale. La première chose dont il se débarrassa fut sa timidité naturelle, j’allais dire sa modestie. Et j’avoue qu’il ne tint qu’à moi de prendre une bien haute idée du mandat électif, en voyant avec quelle rapidilé il avait développé en lui les facultés intellectuelles, le don de voir, celui de prévoir, et, par-dessus toute chose, l’aptitude à diriger. A la fin du premier mois, je cherchais sans le retrouver l’homme que j’avais vu si tremblant devant les obligations qui lui élaient imposées, et si justement jaloux d’être a même de les remplir. Auguste ne doutait plus de rien. Je l’avais entendu pailer avec un humble dévouement de ce qu’il désirait obtenir pour notre arrondissement ; bientôt il avait annoncé des projets d’amélioration départementale ; maintenant il ne songeait plus qu’au bonheur, au salut même de la Fiance, quelquefois même, il arrangeait les affaires des deux mondes. Il est vrai que ces imporlantes pensées ne lui permettaient plus de se rappeler ce qu’il avait promis a ses commettants ; c’est le nom qu’il donnait aux électeurs. Le voyant avancer ainsi ’a pas de géant dans la carrière, je crus qu’un travail opiniâtre et l’examen assidu des plus im| !orlaulcs (piestions lemplissaienl tout le temps qu’il passait hors de l’assemblée, et qu’il se prc|iarait ainsi ’a d’éclatantes destinées, l’objet caché de ses rêves parlementaiies. Et de fait, son petit logis, l’apparlcment garni qu’il occupait dans un des |)lus paisibles hôtels de la rue de Bcaune, était studieusement encombré de papiers, d’imprimés, de volumes et de brnciinres, de tous les formats et de toutes les couleurs, ’a ne les juger que sur la couveiture. Je m’extasiais et j’admirais ; j’osais a peine porter une main profane sur cet amas do science et de lumières qui devait tant faire pour la piospérité nationale. Je n.e hasardai cependant ’a prendre une brochure : les feuillets n’en étaient pas coupés ; je pris un volume : il était intact ; je saisis une liasse d’imprimés : ils étaient vierges de toute lecture. J’interrogeai Auguste sur ce qu’il comptai ! faire de ces trésors d’érudition polilique ; il me répondit, en mettant sa eravale, que c’étaient les imprimés qu’on lui distribuait a la séance et qu’on envoyait ’a son adresse ; qu’il avait voulu les examiner, qu’il s’y croyait consciencieusement engagé ; luais que, dans l’impossibilité de les lire tous, il avait pris le paiti de n’en lire aucun. « Au reste, ajouta-t-il, nous causons beaucoup, et c’est en causant qu’on s’instruit. La conversation vaut mieux que les livres ; l’entretien d’un homme instruit et d’un honnne supérieur est un livre vivant. C’est ainsi que Casimir Périer s’est formé. » Je restai stupéfait. Les gentilshommes de l’ancien régime, ces fils de bonne mère, qui savaient tout, sans avoir rien appris, ne se piquaient point de leclurc ; mais pour s’excuser ils n’avaieni assurément rien trouvé d’aussi ingénieux que ce que je venais d’cnlendre.