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274 L’ÉLÈVE DU CONSERVATOIRE.

mais le cliapeau de paille sert depuis bien longtemps ! La pauvrette perce à travers tout cela ! Pourquoi celte i)auvreté ne se contente-t-elle pas du tartan et de la simple indienne ? Dans quel but s’épuisc-t-elle en efforts malheureux pour prendre les deTiors de l’aisance ?

Vous jetez votre langue aux chiens, comme dit l’nergiqucnient le proverbe populaire. Eh bien !... je vais d’un seul mot trancher la difficulté. Toutes ces jeune filles sont des élèves du Conservatoire, et elles vont prendre leur leçon de tous les jours dans l’établissement lyrico-comiqueque nous avons devant les yeux.

Vous comprenez tout maintenant... Vous comprenez cette promenade matinale ; vous comprenez ces solfèges et ces brochures ; vous comprenez surtout cette toilette de juste milieu entre l’élégance riche et l’élégance pauvre, cette misère de tenue, ce mauvais goût forcé d’accoutrement ? Presque toutes ces jeunes filles appartiennent

ces familles intermédiaires qui ne sont pas encore bien classées dans la société

anciens comédiens, peintres, musiciens, compositeurs, sculpteurs, enfin toute la grande Bohème des artistes médiocres ; tous ceux qui, sur les planches ou l’archet, ou le ciseau à la main, ont eu juste assez de capacité pour assurer leur existence de tous les jours , mais pas assez de talent pour se conquérir un nom et une fortune. Ces parents-lA , qui souvent, dans leur vie, ont, par position, coudoyé les grandes exi’stences, sont orgueilleux comme des parvenus , et ne peuvent se décider à revenir franchement au peuple du sein duquel ils sont sortis. Ils rougiraient de faire de leurs filles d’honnêtes ouvrières ; il faut absolument qu’elles soient artistes. On ne consulte ni leurs dispositions, ni leurs goiMs. Il faut absolument qu’elles soient artistes. Comme si les artistes, à l’exemple des notaires, des huissiers, des apothicaires et des gardes du commerce, formaient une corporation dans laquelle il fût loisible, aux pères de transmettre leur place A leurs enfants ou ayants droit. — Cela vous explique pourquoi nos théâtres sont infestés de tant de médiocrités héréditaires.

Il faudrait une langue de fer et des poumons d’airain pour faire le dénombrement de celte armée en jupons, pour en dire les variétés nombreuses, pour en signaler les individus , pour en esquisser les physionomies. Aussi je déclare d’avance ne me dévouer qu’ ; une partie de cette tâche. Si je ne l’accomplis pas tout entière, vous vous en prendrez â notre honorable éditeur qui me crie, au bout d’un certain nombre de pages pleines : « Tu n’iras pas plus loin ; n ou plutôt vous pourrez en accuser la pares.se et l’inexpérience de mon pinceau.

Suivez-moi bien.

Cette demoiselle au pas majestueux et â la tête romainement portée, qui s’avance de notre coté, et que sa mère suit à trois pas de distance, se nomme Hermmie Soufflot. Elle est née d’une (Itite de l’orchestre de l’Opéra. Comme dès sa première enfance elle avait des airs fort dédaigneux , et traitait de haut en bas tout ce (jui l’approchait, on jugea qu’elle était éminemment propre à la tragédie. Elle fut placée au Conservatoire, et changea dès lors son nom vulgaire de .leannette jiour le nom plus cornélien d’Herminie. — Herniinie est toute radieuse de sa grandeur future. Elle