Page:Les Français peints par eux-mêmes - tome I, 1840.djvu/446

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

556 LE MAITIU ; D’ETUDES.

qu’il y aurait eu peu de coupables d’une faute passible d’un si crue) cliàliment. Et pourtant il ne manque pas de gens qui ambitionnent une telle placel Pouiquoi ’( C’est que bien des causes peuvent pousser un homme a celte lésolulion désespérée , il ce suicide moral.

Vainement vous avez tenté d’aborder tous les rivages, vous avez heurté a toules les portes , vous avez essayé d’entrer dans tous les chemins ; vous vous êtes fait tour a tour négociant, administrateur, soldat, chirurgien-dentiste, homme d’affaires, que sais-je ? vous n’avez réussi à rien, tout vous a manqué ; l’incapacité vous a successivement rendu inabordables tous les rivages, fermé toutes les portes , barré tous les chemins ; il ne vous reste plus d’espoir de succès en rien : — vous vous faites maître d’études. Vous avez vu votre jeunesse enrichie tout a coup de biens paternels ; sans souci de l’avenir, jouissant du présent , vous avez tout dissipé, fortune , santé, jeunesse. Le désespoir vous saisit , il vous vient des pensées de suicide ; au moment de les mettre a exécution, vous hésitez : une idée surgit en votre esprit, et vous dit que, sans se tuer, on peut se faire maître d’études ; vous accueillez avec avidité celte pensée salutaire, vous suivez cet instinct conservateur : — vous vous faites maître d’études.

II en est d’autres que ni l’incapacité ni la détresse ne poussent ’a cet extrême moyen ; la raison seule est leur guide. L’un a quitté sa province pour venir chercher il Paris une condition honorable ; il ambitionne réloijueuce de l’avocal, ou la science du médecin ; il est pauvre, il est laborieux ; il lui faut un état qui le fasse vivre provisoirement et lui permette de se livrer ii ses travaux. Que pourrait-il trouver de mieux ? Un autre vise droit à la loge du professeur, il ne rêve iju’liermine doctorale, et il se sert de celte position iuQme de l’Université comme d’un marchepied d’où il s’élancera plus haut. Mais ceux-Pa fout classe a part ; pour eux , cette profession n’est pas une voie sans issue, un impasse oîi doit s’enterrer leur vie ; ils ont une pensée qu’ils poursuivent, un but vers lequel ils marchent sans cesse, un avenir enfin.

Cependant chacun de ces hommes apporte au milieu des enfants qu’il doit surveiller un caractère différent. Tous tendent à se relever aux yeux de leurs élèves ; mais ils s’y prennent de diverses manières. L’incapable se vante sans cesse ; à l’entendre, il était destiné a de grandes choses, et ses malheurs sont le résultat d’un concours de circonstances extraordinaires. Injustice des hommes, caprice de la fortune, fatalité, il vous demandera compte de son avenir perdu , et se gardera bien d’accuser son manque de mérite, qui seul l’a conduit a celte extrémité. 11 est apathique, lourd, inerte ; il dormira volontiers dans sa chaire , sera sans force devant l’indisci- |)line, sans colère devant la paresse, et finira par s’avouer vaincu dans la lutte qui s’engage toujours entre l’élève et le maître pour savoir lequel des deuxdoioinera l’autre. Pauvre souffre-douleurs, il est constamment berné par ses élèves et réprimandé par ses chefs. 11 sert de point de mire "a toutes les espiègleries d’enfants sans pitié. « Je te parie, dit l’un, que je jette ma balle en plein dans le dos à m’sieur.

— Je t’en défie, reprend un camarade, et je te parie Irois fouilles de papier que non. 1» Aussitôt la balle est lancée avec force, et alteint juste le but désigné.