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578 LE SPECULATEUR.

joue sur le succès ; si elle écboue, il jouera sur la découfiture. Il spécule sur l’édifice qui se construit comme sur l’édilice qui s’écroule ; et ou le verra , après avoir opéré d’une manière prépondérante sur une société en enfantement, agird’une façon victorieuse sur cette même société en liquidation. Tout lui est bon , bâtisse et décombres. Le spéculateur a une famille : des neveux, des cousins, des frères. Cela n’est pourtant pas de rigueur : n’importe ! le cas échéant, il s’agit d’en tirer parti. Quel- (|ues-uns d’eux peuvent mourir ; or, le spéculateur, qui s’est établi le chef et le protecteur de tous les siens , peut devenir aussi leur héritier. Oh I alors qu’il lui paraîtrait doux et touchant de larmoyer sur les admirables trépassés qui viennent de lui léguer, avec l’exemple de leurs vertus, haute nourriture pour son âme, quelque chose de non moins sonnant, mais de plus substantiel pour son corps !... Le spéculateur, ’a la fois inspiré par le ciel et la terre , s’occupe avec un intérêt chaleureux de la destinée de ses proches. Celui-ci ; il le place dans l’état militaire, en lui recommandant cette noble susceptibilité de la bravoure française qui ne permet pas le moindre mot équivoque dans la conversation sans en demander raison sur l’heure, et mettre, tout de suite , llamberge au vent : c’est le grand devoir du métier , la loi première de l’honneur ; hors le duel point de salut. Celui-là, il lui souffle la passion des voyages aventureux, des explorations d’outre-mer. Oh ! l’Inde, le Brésil , la Turquie, le Mogol , la Chine, la Perse !... ce n’est que la maintenant que se trouve encore du neuf, de l’énergie, de la sève , du grandiose et de la vie. Ailleurs , et surtout en Europe, tout est rachitiqueou défunt, on n’y voit qu’atomes ou crétins. (kt autre, il le fait entrer dans les ordres : il a senti sa vocation ; l’âme de ce sublime ])arcnt avait besoin de se baigner dans les flots de la sainteté évangélique. Dieu l’appelle depuis longtemps , pour sa plus grande gloire , à la Chartreuse ou h la Trappe : ce sont les péristyles du ciel, le portail des béatitudes. Quant à ce rfeniier, autre affaire. Il est du monde et né pour le monde ; il faut qu’il soit "a lui tout entier : c’est le spéculateur qui l’y lance. Il l’enivre ’a toutes ses coupes ; il l’assied à tous ses ban- (|uets, il le livre h tous ses amours ; et le maître est fier de l’élève. Mais, pour supporter tant de joies, ce dernier, malheureusement , a peu de force et de sanlé... En résultat définitif, tous ceux dont le spéculateur a entrepris l’éducation , dirigé les pensées et soigné la carrière, ont successivement disparu. Qu’en dit l’homme aux vastes desseins ? « C’est moi ! s’écrie-l-il avec orgueil ; moi qui ai soutenu ma famille !

je m’étais dévoué à elle. Le ciel m’en a récompensé. En faisant le bien de mes 

proches, voyez comme j’ai [irospéré. Dieu merci ! tout s’est bien passé : j’ai dignement casé tous les miens. »

Il est hors de doute que le spéculateur peut se marier comme tout autre individu de l’espèce humaine ; mais l’amour n’entrera pour rien dans la balance de cette opération : il n’y sera pesé que la dot. Le futur fera peu de cas de la beauté , a moins toutefois que ladite beauté ne lui offre un moyen d’élévation, et ne lui ouvre une voie particulière a la fortune, en l’alliant naturellement à de puissants amateurs du beau : c’est une position comme une autre. 11 ne tiendra pas précisément "a l’âge ; une vieille femme riche ne saurait être trop avancée dans la vie ; son mérite est en |M-oporlion de ses années. Oh ! l’inestimable bien qu’une caducité dorée, dont le