Page:Les Nouvelles littéraires, 9 février 1924.djvu/3

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

La vanité des formules reconnue, on interroge, on s’interroge. Drieu La Rochelle, dans Mesure de la France, a noté la douloureuse incertitude de l’adolescente en quête : J’épiais les visages avec l’espoir efféminé de me trouver face à face avec un enfant énergique. Chez la plupart, cette incertitude n’a pas encore trouvé de remède ; elle est à la fois un mal et une preuve de l’intelligence trop clairvoyante pour conclure dira-t-on, mais déjà l’éclectisme d’un Drieu La Rochelle qui répète des noms et a besoin de contacts étrangers pour prendre notion de soi, apparaît signe de contradictions et d’insuffisance. Il faut se résigner, ne pas chercher l’enfant énergique hors de soi-même et ne pas échapper à ces questions dont M. Marcel Arland note qu’elles se ramènent à un problème unique : Dieu. Une telle déclaration a surpris. À la suite des pages qu’il accueillit dans la Nouvelle Revue Française, M. Jacques Rivière publie une étude pour dire qu’il ne croit pas au nouveau mal du siècle, mais dans son titre même, il constate la crise du concept de littérature. Encore une crise, écrit M. Souday dans Le Temps du 3 février ; le fait même d’en parler prouve qu’elle ne le laisse pas indifférent. Quant à M. Rivière, il avait déjà noté : Ceci décidément est à jamais démodé dans le concept de littérature qui désignait un arrangement heureux de lettres et de mots autour d’un sentiment et d’une idée déjà connus, déjà conquis par le sujet écrivant.

M. Rivière rappelle l’enquête de la Revue Littérature : pourquoi écrivez-vous ? Personne ne se vanta d’écrire pour écrire. Parmi les réponses très diverses, la plus courageuse fut celle de Valéry : Par faiblesse.

Dieu, éternel tourment des hommes, s’écrie M. Arland, par quoi compenser son absence ? La littérature ne suffit pas. Mais déjà certaines littératures voudraient s’assimiler à la recherche de l’absolu : il y a les faux prophètes qui établissent des systèmes puérils. Il y a ceux qui s’étonnent de leur inconscient comme d’un miracle. Tous accordent foi entière à des expériences spirites dont ils sont les dupes prétentieuses, ils sortent de grands mots, parlent de surréalisme. Ils ont l’ingénuité d’un nègre qui regarde une lampe électrique parce qu’il ne sait point comment s’y fait la lumière. Encore le nègre est-il logique avec lui-même et ne fait-il pas profession d’esprit critique. Pour s’apaiser, l’angoisse de l’intelligence demande plus que des agissements subconscients ou spirites ; l’audace n’est point de s’y arrêter, mais d’aller toujours plus loin.

Je me rappelle ce conseil de Barrès : « Il faut des songes, des ombres, une espèce d’oisiveté et de solitude et aussi quelque inquiétude ».

René CREVEL.