Page:Les Ravageurs, Jean-Henri Fabre.djvu/305

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
265
LES PUCERONS

Ce jeu savant, image de la guerre, plut beaucoup au royal ennuyé, qui demanda au derviche quelle récompense il désirait pour son invention.

« Lumière des croyants, répondit l’inventeur, un pauvre derviche se contente de peu. Vous me donnerez un grain de blé pour la première case de l’échiquier, deux pour la seconde, quatre pour la troisième, huit pour la quatrième, et vous doublerez ainsi toujours le nombre de grains jusqu’à la dernière case, qui est la soixante-quatrième. Avec cela je serai satisfait. Mes pigeons bleus auront du grain pour quelques jours.

— Cet homme est fou, se dit le roi ; il aurait droit à de grandes richesses, et il me demande quelques poignées de blé. » Puis, se tournant vers son ministre : « Comptez dix bourses de mille sequins à cet homme et faites-lui donner un sac de blé. Il aura au centuple le grain qu’il me demande.

— Commandeur des croyants, reprit le derviche, gardez les bourses de sequins, inutiles à mes pigeons bleus, et donnez-moi le blé comme je le désire.

— C’est bien. Au lieu d’un sac, tu en auras cent.

— Ce n’est pas assez, Soleil de justice.

— Tu en auras mille.

— Ce n’est pas assez, Terreur des infidèles. Les cases de mon échiquier n’auraient pas toutes leur compte. »

Cependant les courtisans chuchotaient, étonnés des singulières prétentions du derviche, qui, dans le contenu de mille sacs, ne trouvait pas son grain de blé doublé soixante-quatre fois. Impatienté, le roi convoqua les savants pour faire, séance tenante, le