les ouvriers s’en furent dans les tentes habitées par leurs semblables, et les bourgeois firent de même. La tente où je me trouvais n’était pas mal composée, car nous étions parvenus à expulser, à la force des litres, deux gaillards dont la puanteur de pieds native s’aggravait d’une incurie prolongée et volontaire.
Un jour ou deux s’écoulent ; on nous faisait monter la garde avec des piquets, nous buvions beaucoup d’eau-de-vie, et les claquedents de Mourmelon étaient sans cesse pleins, quand subitement Canrobert nous passe en revue sur le front de bandière. Je le vois encore, sur un grand cheval, courbé en deux sur la selle, les cheveux au vent, les moustaches cirées dans un visage blême. Une révolte éclate. Privés de tout, et mal convaincus par ce maréchal que nous ne manquions de rien, nous beuglâmes en chœur, lorsqu’il parla de réprimer par la force nos plaintes : « Ran, plan, plan ! cent mille hommes par terre, à Paris ! à Paris ! »
Canrobert devint livide et il cria, en plantant son cheval au milieu de nous : Chapeau bas devant un maréchal de France ! De nouvelles huées partirent des rangs ; alors tournant bride, suivi de son état-major en déroute, il nous menaça du doigt, sifflant entre ses dents serrées : Vous me le payerez cher, messieurs les Parisiens !
Deux jours après cet épisode, l’eau glaciale du camp me rendit tellement malade que je dus entrer d’urgence à l’hôpital. Je boucle mon sac après la visite du médecin, et sous la garde d’un caporal me voilà parti clopin-clopant, traînant la jambe et suant sous mon harnais. L’hôpital regorgeait de monde, on me renvoie. Je vais alors à l’une des ambulances les plus