Page:Les Soirées de Médan.djvu/138

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— Tiens, mais c’est une idée, » dit le brave homme, enchanté de se débarrasser de moi, et séance tenante, il signe mon billet d’admission ; je boucle radieux mon sac, et sous la garde d’un servant du lycée, je fais mon entrée à l’hôpital. Je retrouve Francis ! Par une chance incroyable, le corridor Saint-Vincent où il couche, faute de place dans les salles, contient un lit vide près du sien ! Nous sommes enfin réunis ! En sus de nos deux lits, cinq grabats longent à la queue leu leu les murs enduits de jaune. Ils ont pour habitants un soldat de la ligne, deux artilleurs, un dragon et un hussard. Le reste de l’hôpital se compose de quelques vieillards fêlés et gâteux, de quelques jeunes hommes, rachitiques ou bancroches, et d’un grand nombre de soldats, épaves de l’armée de Mac-Mahon, qui, après avoir roulé d’ambulances en ambulances, étaient venus échouer sur cette berge. Francis et moi, nous sommes les seuls qui portions l’uniforme de la mobile de la Seine ; nos voisins de lit étaient d’assez gentils garçons, plus insignifiants, à vrai dire, les uns que les autres ; c’étaient, pour la plupart, des fils de paysans ou de fermiers rappelés sous les drapeaux lors de la déclaration de guerre.

Tandis que j’enlève ma veste, arrive une sœur, si frêle, si jolie, que je ne puis me lasser de la regarder ; les beaux grands yeux ! les longs cils blonds ! les jolies dents ! — Elle me demande pourquoi j’ai quitté le lycée ; je lui explique en des phrases nébuleuses comment l’absence d’une pompe foulante m’a fait renvoyer du collège. Elle sourit doucement et me dit :

« Oh ! monsieur le militaire, vous auriez pu nommer la chose par son nom, nous sommes habituées à tout. »

Je crois bien qu’elle devait être habituée à tout, la