Page:Les Soirées de Médan.djvu/145

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« Sais-tu, dis-donc, qu’ils ne sont pas aimables à l’Intendance, le gros surtout nous a reçus plus ou moins poliment… »

La sœur ne souffle mot ; nous courons au galop vers la chambrée ; il était temps, j’entendais la voix de sœur Angèle qui distribuait les rations. Je me couche au plus vite sur mon lit, je dissimule avec la main un suçon que ma belle m’a posé le long du cou ; la sœur me regarde, trouve à mes yeux un éclat inaccoutumé et me dit avec intérêt :

« Souffrez-vous davantage ? »

Je la rassure et lui réponds :

« Au contraire, je vais mieux, ma sœur, mais cette oisiveté et cet emprisonnement me tuent. »

Quand je lui exprimais l’effroyable ennui que j’éprouvais, perdu dans cette troupe, au fond d’une province, loin des miens, elle ne répondait pas, mais ses lèvres se serraient, ses yeux prenaient une indéfinissable expression de mélancolie et de pitié. Un jour pourtant elle m’avait dit d’un ton sec : « Oh ! la liberté ne vous vaudrait rien. » faisant allusion à une conversation qu’elle avait surprise entre Francis et moi, discutant sur les joyeux appas des Parisiennes ; puis elle s’était adoucie et avait ajouté avec sa petite moue charmante :

« Vous n’êtes vraiment pas sérieux, monsieur le militaire. »

Le lendemain matin nous convenons, le peintre et moi, qu’aussitôt la soupe avalée, nous escaladerons de nouveau les murs. À l’heure dite, nous rôdons autour du préau, la porte est fermée ! « Bast, tant pis ! dit Francis, en avant ! » et il se dirige vers la grande porte de l’hôpital. Je le suis. La sœur tourière nous