Page:Les Soirées de Médan.djvu/164

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un cri est répété, un cri de prière et de menace : La sortie ! la sortie !

Un officier se lève, d’un geste impatienté ouvre la fenêtre, et fait deux pas sur le balcon. Alors, au-dessous de lui, de toute la place de l’Hôtel-de-Ville bondée de képis, hérissée de baïonnettes dont les pointes d’acier étincèlent vaguement en trouant le brouillard, et débordent à droite dans la rue de Rivoli ; en face, dans l’avenue Victoria où les arbres dépouillés mettent de fantastiques silhouettes ; à gauche, sur les quais bourrés de monde jusqu’aux parapets, un hurrah ironique éclate suivi d’une marée d’insultes. Certains, prenant l’officier pour le général en chef, l’injurient, et, l’interpelant avec des tutoiements, l’invitent à cacher « cette binette-là ». Dans la confusion, des voix rauques sont entendues qui demandent des armes ; d’autres veulent aller en avant, réclament la sortie en masse ; d’autres, croyant à un discours, hurlent pour imposer silence. Quelques-uns, répètent « Délégués, Délégués », proposent d’envoyer une députation qui s’entendrait avec le gouvernement, tandis que des enthousiastes agitent fiévreusement leurs képis, et crient : « bravo », de toutes leurs forces, au hasard, sans savoir pourquoi. Le calme n’arrive pas à se rétablir, et, comme l’officier, un peu pâle, se retire sans rien dire, un cri unique, plus menaçant et plus fort, déchire l’air brumeux, résumant toutes les colères et toutes les fièvres de la foule : « Capitulards ! Capitulards ! »

— Ces bons escargots de rempart, dit l’officier en fermant la fenêtre, il faudra qu’on finisse par leur faire une saignée, autrement, ils ne seront jamais contents.

Et, ramenant entre ses jambes le sabre qui lui