Aller au contenu

Page:Les Soirées de Médan.djvu/17

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
8
LES SOIRÉES DE MÉDAN

possédait un petit bien, sur la lisière même de la forêt de Gagny, juste en face du moulin, à quelques portées de fusil. Il venait pour vendre ce bien, disait-il, et retourner chez lui. Mais le pays le charma, paraît-il, car il n’en bougea plus. On le vit cultiver son bout de champ, récolter quelques légumes dont il vivait. Il pêchait, il chassait ; plusieurs fois, les gardes faillirent le prendre et lui dresser des procès-verbaux. Cette existence libre, dont les paysans ne s’expliquaient pas bien les ressources, avait fini par lui donner un mauvais renom. on le traitait vaguement de braconnier. En tout cas, il était paresseux, car on le trouvait souvent endormi dans l’herbe, à des heures où il aurait dû travailler. La masure qu’il habitait, sous les derniers arbres de la forêt, ne semblait pas non plus la demeure d’un honnête garçon. Il aurait eu un commerce avec les loups des ruines de Gagny, que cela n’aurait point surpris les vieilles femmes. Pourtant, les jeunes filles, parfois, se hasardaient à le défendre, car il était superbe, cet homme louche, souple et grand comme un peuplier, très blanc de peau, avec une barbe et des cheveux blonds qui semblaient de l’or au soleil. Or, un beau matin, Françoise avait déclaré au père Merlier qu’elle aimait Dominique et que jamais elle ne consentirait à épouser un autre garçon.

On pense quel coup de massue le père Merlier reçut, ce jour-là ! Il ne dit rien, selon son habitude. Il avait son visage réfléchi ; seulement, sa gaieté intérieure ne luisait plus dans ses yeux. On se bouda pendant une semaine. Françoise, elle aussi, était toute grave. Ce qui tourmentait le père Merlier, c’était de savoir comment ce gredin de braconnier avait bien pu