Page:Les Soirées de Médan.djvu/181

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apportaient jusqu’à lui les échos des grandes fêtes de Compiègne, les récits des grandes débauches de Saint-Cloud. Ses désirs de jouissance le rongeaient dans l’austérité vaniteuse de son exil. Souvent même, dans les heures troubles que connaissent les plus forts, il avait senti vaciller sa conscience, faiblir son honnêteté. Plus d’une fois il avait songé à faire sa soumission, décidé intérieurement par ces sophistiques raisons qui déterminent les lâchetés, convaincu qu’au milieu de l’excès des platitudes ambiantes, sa platitude, à lui, passerait inaperçue. Mais il avait été soutenu par son orgueil. Son ambition aussi l’avait empêché de tomber à des complaisances et à des servilités. Il s’était dit, que ceux-là seuls sont les maîtres un jour qui se raidissent dans une attitude et savent prendre, parmi les courants des hommes et les momentanés entraînements des faits, une position immobile et méprisante. Puis, par nature, les médiocrités lui répugnaient : il n’aurait trouvé aucun plaisir dans l’accomplissement des vilenies vulgaires. Se vendre, quoi ? lui aussi ! mais tout le monde s’était vendu, et avec une science de corruption qu’il ne fallait pas espérer pouvoir dépasser. Du reste, il aurait rougi d’être un plagiaire de bassesse, et si des capitulations lui semblaient désirables, c’étaient celles qui mettent leur auteur dans une apothéose et l’immortalisent par la grandeur de leur gloire ou la profondeur de leur infamie. Il se croyait né pour les avenirs éclatants, taillé pour les immenses célébrités, musclé pour les efforts considérables, et renfonçant ses besoins de domination, luttant contre ses appétits, il avait attendu, honnête par calcul, incorruptible par volonté. Si bien que le peuple, sans rien deviner de ses impatiences et de ses fièvres sourdes,