Page:Les Soirées de Médan.djvu/227

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il ne se bat pas. Pour un peu, elle l’accuserait de n’être pas venu la délivrer, là-bas, dans son internement de la maison meublée de l’avenue de Saint-Cloud, et elle se plaint amèrement de son inaction, comme elle se plaindrait d’un rendez-vous auquel il aurait manqué. Oui, certes, il serait venu la chercher s’il avait eu du cœur.

— Ah ! pourtant, tu aurais bien dû t’en douter de ce qu’on s’embête là-bas ?

Et lui ne trouvant pas de raison à donner, se contente de répéter :

— Huberte, Huberte ! avec les airs de supplication d’un enfant demandant un jouet qu’on ne veut pas lui rendre.

Mais elle continue :

— Avec ça que la chose était difficile. Il suffisait de vouloir, voilà tout. L’investissement n’était pas tellement serré qu’on ne pût pas le rompre. Elle le savait bien, elle, elle les avait vues ces fameuses fortifications prussiennes. Ah ça, est-ce qu’il coupait là dedans ? Des canons, des canons, mais c’étaient des tuyaux de poêle. Comment ! il n’avait donc pas deviné ? À quoi lui servait sa lunette ? Non vraiment, on n’était pas myope à ce point. Eh bien ! vrai, si tu savais ce qu’ils se moquent de toi, là-bas, les Kaiserliks !

Et prise d’une de ces crises d’éloquence qui sortent parfois de la bouche des femmes passionnées, elle vide devant lui tout ce qu’elle sait, tout ce qu’elle croit savoir sur la position stratégique des Prussiens. Avec une parole endiablée, pleine de trouvailles de mots et de bonheurs d’épithètes, elle répète les cancans, les faux renseignements, tous les racontars niais, toutes les inventions saugrenues, tous les invraisemblables