Page:Les Soirées de Médan.djvu/274

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avoir peur sous prétexte de prudence, être lâche.

D’une voix distraite, indifférente, elle interrogeait encore le jeune homme : depuis quand était-il atteint ? où souffrait-il ? Et, pendant les réponses de l’autre, un combat se livrait en elle. Tout à coup elle se retourna vers l’arrière du chariot. Le regard qu’elle jeta, là, sous la bâche tendue autour des cerceaux, un de ces regards par lesquels d’ordinaire on consulte quelqu’un, parut la décider. Pourtant il n’y avait personne. La jeune femme voyageait seule.

— Attendez, dit-elle, je vais descendre.

Malgré sa grande faiblesse, le blessé se rendit bien compte de ceci : la jeune femme, en s’approchant de lui, gardait un tremblement nerveux. Elle avait conservé sa lanterne à la main. De l’autre main, elle lui présenta une bouteille toute débouchée.

Il but avidement. C’était du rhum.

— Merci, dit-il. Cela va déjà mieux.

Elle lui tendait de nouveau la bouteille.

— Tenez ! encore !…

Elle se penchait vers lui, et son capuchon se souleva. Elle lui parut merveilleusement belle. Il n’en finissait plus de boire ; il était troublé. Elle s’impatienta :

— Voyons ! vite ! je n’ai pas le temps…

Alors, il la regarda avec inquiétude.

— Gardez la bouteille… J’ai aussi du pain que je vais vous laisser… Et maintenant, tâchez de vous ôter du milieu de la route… je vous donnerai la couverture du cheval… vous pourrez attendre le jour.

Elle disait tout d’une voix sèche, hachée, impérative, n’admettant pas de réplique. Une grande dame commande ainsi à ses domestiques. Lui, se sentait