Page:Les Soirées de Médan.djvu/286

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charrette sonnait tout entière avec un grincement de dislocation. Et, chaque fois, Édith était machinalement tentée de se retourner pour s’assurer que la charrette contenait toujours le lugubre fardeau.

Maintenant, il lui semblait presque qu’elle avait aimé le baron. Elle ne se souvenait plus de l’infernale malice avec laquelle monsieur Trivulce, aux heures de récréation, se vengeait sur elle de l’ennui d’avoir traduit Plutarque et de s’être promené avec son abbé au milieu du « jardin des racines grecques ». Elle oubliait les quinze ans que son mari comptait de plus qu’elle, le profond égoïsme du fils unique, le terre-à-terre d’une âme basse, l’indifférence blasée du viveur parisien d’un moment, qui ne se consolait pas d’être rivé à la province par la médiocrité de sa fortune. Ce triste personnage, au détestable caractère, avait fait son devoir en s’engageant, et était mort sur le champ de bataille, comme un Plémoran doit mourir : elle ne pensait plus qu’à ce mérite ! Le reste n’existait plus. Même, elle qui était née aussi Plémoran, se disait avec mélancolie que le nom venait de s’éteindre à jamais, puisqu’il n’existait pas d’autre branche et qu’elle n’avait pas d’enfant. Elle n’était donc point éloignée de se croire profondément malheureuse. Sans le soutien de la pensée qu’elle accomplissait un grand devoir, qu’elle devait elle-même se montrer digne de sa race, peut-être, les nerfs aidant, eût-elle fondu en larmes sincères. Tout à coup, malgré elle, Édith tressaillit. Un long soupir, là, derrière son dos, et le remuement d’un corps qui se retournait ! Gabriel Marty, qu’elle avait complètement oublié, venait de remuer.

Il s’était mis sur le côté gauche, le derrière et les pieds portant contre le cercueil. Dans cette position