Page:Les Soirées de Médan.djvu/296

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— Vous pouvez vous rendormir, ajouta-t-elle.

Et elle donna un petit coup de fouet au cheval. Déjà, retrouvant le fil interrompu de ses pensées, elle se remettait à calculer les conséquences de son veuvage. Voyons ! elle arrivait à Plémoran : quel accueil recevait-elle de son oncle et de sa tante, c’est-à-dire de son beau-père et de sa belle-mère ? Quelle contenance garder devant leur désespoir, elle qui n’avait pas approuvé leur opposition à ce que leur fils unique s’engageât ? Comment amortir autant que possible le coup ? Prévenir par dépêche… Non ! plutôt par une lettre… Mais voilà que le soldat ne s’était pas recouché sur sa paille. Et il osait lui parler encore, l’importun ! C’était un vrai manque de tact, presque de l’insolence. S’imaginait-il donc qu’elle allait passer la nuit à faire avec lui la conversation ? Le malheureux la prenait peut-être pour son égale !

— Allons ! Allons ! Assez ! fit-elle d’un ton coupant. Taisons-nous !

Et elle ne tournait même pas la tête vers lui, pour lui dire cela. Tout le sang de Gabriel s’était glacé. Sans le vouloir, il lui avait donc été désagréable. Et ce n’était pas à coup sûr le sens des paroles : toute sorte de circonlocutions humbles pour lui offrir de braver à sa place le froid. Elle n’avait même pas entendu ! Quelle femme était-ce donc ? Et, près d’elle, comme il se sentait, lui, petit, mesquin, indigne et misérable ! Il se recoucha docilement sur la paille, comme un chien.

Du côté d’Édith, après les brusqueries de l’emportement, déjà un retour de bonté naturelle. « J’ai peut-être trop rudoyé ce garçon. Après tout, il a l’air bien élevé ; plutôt timide et retenu qu’audacieux. » Mais,