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Page:Les Soirées de Médan.djvu/45

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LES SOIRÉES DE MÉDAN

gorge, et l’arme était restée dans la plaie. C’était un couteau de cuisine à manche noir.

— Regardez ce couteau, dit l’officier au père Merlier, peut-être nous aidera-t-il dans nos recherches.

Le vieillard avait eu un tressaillement. Mais il se remit aussitôt, il répondit, sans qu’un muscle de sa face bougeât :

— Tout le monde a des couteaux pareils, dans nos campagnes… Peut-être que votre homme s’ennuyait de se battre et qu’il se sera fait son affaire lui-même. Ça se voit.

— Taisez-vous ! cria furieusement l’officier. Je ne sais ce qui me retient de mettre le feu aux quatre coins du village.

La colère heureusement l’empêchait de remarquer la profonde altération du visage de Françoise. Elle avait dû s’asseoir sur le banc de pierre, près du puits. Malgré elle, ses regards ne quittaient plus ce cadavre, étendu à terre, presque à ses pieds. C’était un grand et beau garçon, qui ressemblait à Dominique, avec des cheveux blonds et des yeux bleus. Cette ressemblance lui retournait le cœur. Elle pensait que le mort avait peut-être laissé là-bas, en Allemagne, quelque amoureuse qui allait pleurer. Et elle reconnaissait son couteau dans la gorge du mort. Elle l’avait tué.

Cependant, l’officier parlait de frapper Rocreuse de mesures terribles, lorsque des soldats accoururent. On venait de s’apercevoir seulement de l’évasion de Dominique. Cela causa une agitation extrême. L’officier se rendit sur les lieux, regarda par la fenêtre laissée ouverte, comprit tout, et revint exaspéré.

Le père Merlier parut très contrarié de la fuite de Dominique.